Fondation d'entreprise
 
 
Michel Godet
Opinion 
13 jul 2016

Mieux d'Etat pour obtenir le meilleur des marchés

Un Etat stratège pour conduire des politiques publiques.
Le tournant du Brexit relance la question de la place de l'État et du marché au sein des pays européens. Ce point sera, sans conteste, au cœur du débat de la prochaine élection présidentielle. Les partisans d'une Europe des États nations se réjouiront du rejet de l'Union européenne par la Grande-Bretagne, cheval de Troie du libéralisme. Ils espéreront la fin d'une Europe schizophrène qui a trop souvent poussé les États à se soumettre aux forces du marché, tout en réglementant la vie économique dans le moindre détail environnemental. Certes, il faudra redéfinir la subsidiarité à l'échelle européenne : traiter au niveau local des États et des régions tout ce qui peut l'être et au niveau global européen seulement ce qui doit l'être.

Mais l'Europe sert de bouc émissaire commode pour les pays mal gouvernés, avec des dirigeants manquant souvent de vision économique à long terme.

Lionel Jospin disait clairement : « Oui à l'économie de marché, non à la société de marché ». Malgré cette belle époque de croissance, le peuple lui a fait payer ce postulat par la claque électorale de 2002. Tous les républicains se sont alors rassemblés pour préférer à l'hydre du Front national Jacques Chirac.

Hélas ! celui-ci n'a pas eu la sagesse de constituer un gouvernement d'union rassemblant les socio-démocrates de droite et de gauche autour d'une politique claire et responsable, à même de repousser les extrêmes.

Depuis, les clivages n'évoluent que lentement. La France est quasiment le seul pays développé où l'économie de marché est considérée avec défiance par une majorité de la population, alors que l'État y est paré de toutes les vertus du bien public. Pourtant, l'économie trop dirigée par l'État est généralement moins efficace. On peut rejeter le modèle américain, mais il faut reconnaître ses aspects positifs car il est fondé sur l'initiative et la responsabilité individuelle, mais aussi sur la solidarité associative de citoyens qui n'hésitent pas pour certains à se dépouiller pour l'intérêt général (songeons à la fondation Bill Gates et à Warren Buffet qui lui a donné les deux tiers de sa fortune). L'économie du don est parfois plus efficace que l'économie du prélèvement et de l'impôt pour contribuer au bienfait de l'humanité.

En réalité, un État fort et éclairé est tout à fait compatible avec une économie de marché florissante comme en témoigne la Chine avec son économie (trop) autoritaire de marché. En revanche, le triste exemple de Cuba prouve que l'autorité sans le marché et la liberté qui va avec conduit à la pénurie. La France donne trop souvent l'impression d'une économie de marché bridée par le poids des réglementations et des normes centralisées. L'économie trop dirigée par l'État jacobin est généralement moins efficace qu'une organisation décentralisée qui laisse les initiatives se développer sur le terrain. L'exemple à suivre est aussi bien celui de l'Allemagne que celui de la Suisse où les taux de chômage sont respectivement de 5% et 3,5% contre 11% chez nous avec des dépenses publiques rapportées au PIB de 12 et 15 points inférieurs aux nôtres (57%). Comme le remarquait Michel Crozier, un État moderne et efficace se doit d'être modeste. Il est vain d'opposer État et économie de marché, le mariage des deux est nécessaire et fécond dans l'esprit de l'ordo-libéralisme cher à nos amis allemands : autant de marché que possible, autant d'État que nécessaire.

Il faut plus d'économie de marché dans les monopoles publics, comme les transports pour justement améliorer le service public. Et il ne faut pas confondre « service public » avec « statut public » des agents qui le rendent. En corollaire, il faut plus d'État stratège et régulateur là où le marché fait défaut car il est aveugle au long terme et obsédé par la rentabilité à court terme. C'est le cas pour l'environnement naturel, l'urbanisme, l'éducation, la santé, la famille et l'enfant. Il faut tout simplement plus, et surtout mieux d'État stratège pour conduire des politiques publiques. L'impôt positif et négatif (prime pour l'emploi) a, précisément, cette vocation. Ce n'est pas aux entreprises d'assurer l'équité de la redistribution sociale, mais à la collectivité.

L'efficacité économique est le plus court chemin pour parvenir à financer la justice sociale. Le social libéral (libéral parce que social) que je suis préfère avoir à répartir inégalement, mais avec équité, un gâteau agrandi, plutôt que de chercher à diviser en parts égales un gâteau plus petit. Je dis donc aussi vive l'impôt à condition qu'il soit bien consacré à des dépenses d'investissement et de solidarité vraiment efficaces.

Michel Godet.

Source : Le Figaro, 11 juillet 2016
 

Michel Godet est un économiste, membre de l'Académie des technologies, Vice-président de la fondation MMA des Entrepreneurs du Futur qui organise chaque année le Grand Prix des Bonnes nouvelles des territoires. De 1982 à 2014, il a été professeur au Conservatoire national des arts et métiers, titulaire de la chaire de prospective stratégique et auteur d'ouvrages économiques sur le travail ou l'évolution démographique.

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