Fondation d'entreprise
 
 
André Letowski
Etudes 
Santé 
24 avr 2017

Près de 200 000 répondants à l’enquête de la CFDT sur la vie au travail

Analyse de notre expert André Letowski.
Les travailleurs et leur travail :

● 77 % aiment leur travail ;
● 59 % y éprouvent plaisir ;
● 57 % de la fierté ;
● mais 25 % y viennent « la boule au ventre » ;
● 27% y « font des choses qu’ils désapprouvent.

La fierté est inégalement répartie socialement : plus on est diplômé, plus on est gradé et plus on gagne d’argent, plus on se dit fier ; ceux qui gagnent plus de 4000€ sont 42% à se déclarer fiers, là où les travailleurs qui gagnent 1000 à 1500€ ne sont que 28%; le grade intervient également (les cadres sont les plus fiers, surtout dans la fonction publique); ce que l’on produit, l’utilité sociale de ce que l’on fait interviennent aussi.

La perception du vécu du travail diffère en fonction de la place occupée par chaque individu au sein des collectifs de travail : les cadres et les plus diplômés sont nettement plus nombreux que les ouvriers et les sans-­diplômes, à dire qu’ils prennent du plaisir au travail; au-­‐delà de la catégorie socio-­professionnelle, ce sont le sens du travail, la reconnaissance, l’autonomie et les marges de manœuvre, le pouvoir de s’exprimer et d’agir sur son travail qui sont questionnés, sans oublier les conditions de travail physiques parfois difficiles.

De fait le choix de son activité croît avec le niveau de diplôme et de grade (les cadres du public comme du privé sont 90% à dire qu’ils ont plutôt choisi leur parcours). les CDD ne font pas de réponse significativement différente des CDI, à la différence des intérimaires.

L’idée de réussite est d’abord due à un mérite personnel, qui a permis de faire aboutir des « choix » individuels. Ceci étant, 71% considèrent que les chômeurs ne sont pas des assistés. «Travailler moins pour travailler tous » est une acceptation partagée par les salariés et les chômeurs.

58% disent avoir le temps de faire correctement leur travail; mais 21% affirment avoir des objectifs « intenables ». 1/3 travaillent en dehors des horaires de travail ou pendant leur jours de repos (et 46% « ça arrive »). Pour la moitié, il arrive que leur entourage estime qu »‘il travaille trop ». 28% affirment que « par rapport à leurs collègues, on m’en fait faire beaucoup plus »

La charge de travail est tolérable : les 2/3 déclarent ne pas avoir le sentiment « d’être une machine », mais la moitié dit ne disposer que d’une faible autonomie dans l’organisation de son planning et la moitié encore, ne pas pouvoir mettre ses idées en pratique au travail

Autonomes au travail : 42% des répondants disent qu’un retard de 10 minutes « n’est pas un problème tant que le boulot est fait »; les autres items étant «c’est pas grave mais c’est mal vu» (12%), «c’est pas grave mais je devrais le compenser» (18%), «c’est toléré de temps en temps, mais il faut une vraie raison » (17%), «c’est sanctionné» (4%) et «c’est juste impossible» (7%). Toutefois, 60% de ceux qui travaillent moins de 39 heures déclarent qu’un retard est un problème, voire peut être sanctionné. Par contre, 85% des cadres du privé peuvent, sans problème ni sanction, arriver en retard.

Le soutien du chef et des collègues :
de nombreuses études sur le stress démontrent que celui-­‐ci est lié au niveau de demande psychologique, au degré d’autonomie dans le travail, mais aussi au soutien social que l’on peut obtenir dans son environnement proche. 40% disent pouvoir compter à la fois sur le soutien de leur chef et de leurs collègues, 68% bénéficier d’entraide avec leurs collègues (pour 63% les relations sont cordiales et pour 12% formidables).

Pour 1/3, leur hiérarchie les considèrent comme des gens précieux, responsables; pour 41% la hiérarchie est soucieuse de leur bien-être; 48% sont d’accord ou plutôt d’accord avec l’idée que leur chef les aide à accomplir leur tâche; mais les moins gradés disent ne pas pouvoir compter sur eux; 45% disent avoir subi du harcèlement moral.

Pour les 2/3 les compétences de leur chef sont normales, respectables et pour 5% exceptionnelles.

Mais 62% affirment que s’ils devaient faire leur travail sans chef, cela ne changerait pas grand chose et même 25% « je travaillerais mieux ». 83% affirment même que les salariés sont plus lucides que la plupart des dirigeants.

La majorité dit aussi pouvoir s’exprimer librement et contester son chef (écart de 10 % points, quel que soit l’âge entre hommes et femmes).

Ceci étant les promotions sont plutôt le fait de ceux qui se font mousser, ou sont proches de la direction.

Mais le management de proximité est en difficulté pour assurer ce rôle de soutien, les cadres étant souvent cantonnés au suivi de la réalisation des objectifs, et ont peu de marges de manœuvre pour répondre aux attentes ou inquiétudes des salariés en difficulté. De plus, pour 64% le supérieur se protège avant de protéger ses collaborateurs.

Si l’entraide, le soutien, la solidarité et la bienveillance entre travailleurs sont bien présents dans le monde du travail, pour autant, la situation personnelle, notamment les difficultés relationnelles (pour 87% un collègue pénible rend le travail invivable) ou la peur de perdre son emploi impactent fortement. Si 48% n’ont jamais été traités de façon injuste ou hostile, 17% disent l’avoir été pour leur physique ou handicap, 15% pour leur âge, 13% pour leur sexe ou leur orientation sexuelle, 5% pour leur couleur de peau ou leur nationalité, et 22% pour d’autres raisons. Mais 71% disent aussi avoir des amis parmi leurs collègues ou anciens collègues.

« Avons‐nous un rapport utilitariste au travail ? »

L’enquête montre que l’engagement au travail ne tient pas uniquement à la rémunération du travailleur, même si 81% travaillent pour faire face à leurs besoins. Ceux qui affirment travailler pour autre chose que l’argent, sont d’abord les jeunes; en vieillissant cette croyance se tasse. Ceux qui disent travailler d’abord pour l’argent sont surtout les catégories C du public et les ouvriers du privé (moins d’autonomie, de soutien social, de choix de carrière); ceux qui revendiquent avoir un rapport non utilitariste au travail, sont plus nombreux chez les cadres; la bonne volonté au travail serait d’abord indexée aux diverses satisfactions matérielles mais aussi sociales, psychiques et morales, qu’il procure.

Les 3/4 disent faire un travail utile et 48% se sentent utiles à leur société et à leur entreprise. 54% se disent investis au travail; mais moins la satisfaction est importante, plus ils estiment que leur travail dégrade leur santé.

Le rapport au bien commun : « dans n’importe quelle entreprise ou administration, l’intérêt général devrait passer avant tout ? » 86% se disent d’accord, quelque soit l’âge, le sexe ou la situation de travail.

À la question « Au boulot, soit tu marches sur les autres, soit tu te fais marcher dessus », 69% disent ne pas être d’accord; ce point de vue croît avec le niveau d’études et le grade»; en désaccord ceux qui connaissent des situations de violence ou d’isolement au travail, ou ceux qui ont peur de perdre leur emploi ou de subir des changements désavantageux pour eux.

Quelle opinion ont les travailleurs du rôle des syndicats dans la solidarité nationale aujourd’hui ? « Un monde du travail sans syndicat serait… » : 56% répondent : «l’exploitation pour tous ». Notons que les autres réponses possibles étaient : « ça ne changerait rien » (36%) ou « enfin le progrès » (6%).

Les atteintes à la santé, corollaire des travailleurs malmenés

Pour 39% « mon travail est physiquement exigeant (charges lourdes, postures pénibles, bruit, températures excessives, vibrations…) » ; 25% ont déjà été blessés et 10% hospitalisés à cause de leur travail. 28% « ne se voient pas faire ce travail encore longtemps ». 39% disent y côtoyer la souffrance humaine. 37% disent avoir fait un burn out.

Les travailleurs peu qualifiés, ou gagnant moins de 2000€, sont 40% à dire que leur travail les « délabre »; par contre, les plus diplômés, gradés et rémunérés, plus que les autres, disent que le travail a sur leur santé des effets positifs; notons toutefois qu’être éduqué, riche et dominant n’est pas la panacée puisque 20 à 30% pensent tout de même que le travail joue contre leur santé.

L’appréciation des conséquences du travail sur leur santé trouve son origine dans la qualité des situations de travail : relations avec les collègues, avec la hiérarchie, articulation vie professionnelle-vie personnelle, parcours professionnel, exigences du travail, crainte de perdre son emploi, sens et reconnaissance du travail.

Par ailleurs l’enquête révèle que seuls 72% arrivent à prendre tous leurs congés et RTT ; de même, lorsque la durée du travail dépasse la quotité «35-­39 heures», l’articulation vie professionnelle-­vie personnelle devient difficile pour une majorité.

« L’approche du temps de travail hebdomadaire est devenue obsolète, même si la durée légale du travail, reste nécessaire, car étant un outil de mesure indispensable pour garantir les droits des travailleurs dans l’entreprise ou la branche professionnelle. La CFDT propose de réfléchir à une autre approche qui articule une répartition équitable du travail entre les individus…en tenant compte de la pénibilité de certains emplois et d’apprécier la durée du travail sur l’ensemble de la carrière ».

Ces dernières années, la tendance a été à l’intensification et à une densification du travail, à une augmentation de la charge de travail ainsi qu’à l’introduction de nouvelles formes d’organisation du travail induisant des pratiques de management davantage coercitives. Les repères des travailleurs ont ainsi été bousculés, le contenu et les conditions de réalisation du travail ayant été fortement modifiés, et les exigences pesant sur les travailleurs, qu’ils soient cadres ou non, ont été multipliées. Les mutations du travail vont perdurer…Il est de la responsabilité des entreprises et des pouvoirs publics de mettre en œuvre les mesures garantissant des conditions de travail de qualité aux travailleurs. Cela passe par un dialogue social de qualité à tous les niveaux faisant notamment de l’organisation du travail un objet de négociation. La CFDT, propose de développer une économie de la qualité, qui intègre la qualité de vie au travail et fait en sorte que chacun trouve sa place dans le monde du travail et dans la société »


 
André Letowski est expert en entrepreneuriat, en petites et très petites entreprises. Il publie une note mensuelle regroupant une sélection brute ou retravaillée et commentée des corpus statistiques français, des enquêtes et publications concernant le domaine des TPE, PE et PME.




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