Retrouvons son témoignage.
LE FIGARO : - Pour vous qui explorez le sommeil depuis de nombreuses années, qu’est-ce qui le rend si précieux ?
Patrick LEMOINE : - Le fait qu’il est vraiment la marque du vivant, en ce sens où tous les êtres qui vivent sur terre, depuis qu’ils sont sortis de l’ère aquatique, ont besoin de traverser en alternance des phases d’activité et de
repos. Les batraciens, les insectes, les mammifères, les plantes – les nénuphars qui ferment leur coeur la nuit –, tous expérimentent le sommeil. Si cette expérience universelle est si importante, c’est parce qu’il faut la voir comme un temps de « réinitialisation », de mise à jour des organismes, et c’est particulièrement vrai en ce qui concerne notre système immunitaire. Ceux qui ne dorment pas les heures suffisantes à leur programmation génétique fragilisent toutes leurs données physiologiques. En ce sens, dormir, c’est bien plus que se reposer !
En même temps, nous ne sommes pas tous égaux face au sommeil…
Effectivement, chacun a un taux de sommeil idéal. Dans une vision assez caricaturale, 15 % de personnes sont « du matin » et, à l’autre extrême d’une courbe de Gauss, 15 % sont « du soir », le reste de la population étant assez
malléable. Mais il a été observé qu’on choisit son métier en fonction de cette relation spécifique qu’on a avec son sommeil : les militaires, les boulangers, les profs sont plutôt des lève-tôt, alors que les écrivains, les journalistes,
les créatifs aiment veiller tard… Il est très important de savoir quel type de dormeur on est vraiment.
LE FIGARO : - Comment ?
Patrick LEMOINE : - Pour ce faire, il faut observer, lorsqu’on n’a pas de contrainte, de combien d’heures de sommeil on a besoin, quand arrive le réveil spontané, quand se manifestent nos signaux de fatigue, préludes à l’endormissement…
LE FIGARO : - Quels autres bénéfices du sommeil sont-ils notables ?
Patrick LEMOINE : - Celui qui dort bien cicatrise mieux, consolide sa mémoire notamment dans les deux premiers cycles du sommeil. Plus on se couche tard, moins on mémorise. Plus on repose l’organisme, moins on risque d’être sujet à l’infarctus ou à l’AVC. Plus on dort, plus on favorise la fabrication de leptine, hormone qui donne un sentiment de satiété. Donc le sommeil prévient de l’obésité. Comme il ralentit tout au niveau hormonal, il réduit la production de cortisol, hormone du stress. Lorsqu’on ne peut baisser ce taux, rappelons-le, on court le risque de dépression sévère.
Or quel est le principal pourvoyeur d’insomnie ? C’est la dépression. Ce cercle vicieux est assez bien résumé dans la formule : « L’insomniaque de 20 ans fera le déprimé de 40 ». Aussi j’encourage les entreprises, notamment à travers une fondation – la Fondation MMA - à cesser de traiter le sommeil comme une simple variable d’ajustement à l’activité. Dans les conférences que je donne dans les entreprises, je ne cesse de rappeler : « Plus vous attaquez le capital sommeil, plus vous attaquez la performance de chacun. »
Ceux qui ne dorment pas les heures suffisantes à leur programmation génétique fragilisent toutes leurs données physiologiques.
LE FIGARO : - Mais retrouve-t-on ces bénéfices naturels du sommeil si l’on prend des somnifères ?
Patrick LEMOINE : - Non, justement. Car un somnifère provoque une anesthésie légère et un endormissement superficiel, pas un sommeil profond. Or c’est le plus souvent dans cette phase la plus profonde, le
sommeil paradoxal, que nous rêvons, résolvons des problèmes et surtout avons accès à une réserve d’informations qui ne nous sont pas accessibles à l’état de veille. Et ce que les neurosciences confirment, c’est que pendant ce
temps nous trions nos souvenirs, consolidons certains et transférons nos émotions de l’hémisphère droit à l’hémisphère gauche de notre cerveau.
Patrick Lemoine
Santé
27 avr 2018
Que répare le sommeil en nous ?
Le psychiatre Patrick Lemoine, expert « sommeil » de la Fondation MMA des Entrepreneurs du Futur, a été interviewé le 23 avril dernier par Pascale Senk du Figaro dans son dossier "Que répare le sommeil en nous ? ».
Patrick Lemoine est psychiatre, docteur en neurosciences et directeur de recherches à l’université Claude-Bernard de
Lyon. Il est auteur de plusieurs ouvrages sur les troubles du sommeil, l'anxiété et le sevrage de médicaments, dont "Docteur, je ne dors pas ! Le sommeil en 50 questions".
Lyon. Il est auteur de plusieurs ouvrages sur les troubles du sommeil, l'anxiété et le sevrage de médicaments, dont "Docteur, je ne dors pas ! Le sommeil en 50 questions".
Suivez-le