Cette crise peut s’expliquer par des normes :
– La norme de la valeur actionnariale, que la théorie économique a contribué à installer en faisant de l’actionnaire le « residual claimant », dont l’intérêt devrait être prioritaire ;
– La norme de la société anonyme, qui est une norme à la fois juridique et gestionnaire, et qui exclut les salariés, comme les autres parties prenantes, de la gouvernance.
Ces normes, qui ont été formalisées au travers des codes de gouvernance depuis le début des années 90, ont eu une influence d’autant plus forte que le système actionnarial s’est profondément « industrialisé » : il se compose aujourd’hui majoritairement d’investisseurs institutionnels puissants et de plus en plus outillés pour optimiser la liquidité et la rentabilité de leurs fonds.
« Dans notre approche, l’entreprise doit être comprise selon une double caractérisation :
– L’entreprise est un dispositif de création collective. Elle mobilise des ressources variées, au nom d’un futur souhaitable mais inconnu, et conduit une action qui transforme ces ressources pour en créer de nouvelles : nouvelles techniques, nouveaux métiers, nouveaux biens…
– L’entreprise est aussi un espace politique. Elle organise entre des parties aux intérêts potentiellement différents, des relations de pouvoir et d’influence. En outre, c’est un acteur privé qui interfère avec la sphère publique, du fait de sa vocation à transformer le monde.
Cette approche a deux avantages : d’une part, elle explique les obstacles théoriques qu’ont rencontrés jusqu’ici les tentatives de réforme ; d’autre part, elle éclaire la nature des normes qu’il faut aujourd’hui concevoir pour refonder une entreprise cohérente avec les attentes sociétales et environnement ».
Une reconstruction viable de l’entreprise doit nécessairement articuler deux types de normes :
– des « normes de constitution ». Celles-ci définissent qui est formellement associé à l’entreprise et fondent aussi potentiellement une logique d’association et de solidarité à l’égard de certains contributeurs (intérimaires, fournisseurs dépendants…).
– des « normes de gestion ». Celles-ci reconnaissent que la bonne gestion de l’entreprise ne peut se résumer à la poursuite de l’intérêt des associés et que l’entreprise a un intérêt propre qu’on ne peut séparer de règles de responsabilité.
Cette analyse permet de qualifier deux nouvelles normes pour l’entreprise :
– Le principe de codétermination comme norme de constitution : dans la mesure où la création collective repose sur la participation des salariés et des actionnaires, l’efficacité de l’entreprise dépend de leur engagement. Et cet engagement légitime en retour l’autorité de gestion. Il faut donc assurer aux salariés un pouvoir de gouvernement et non pas seulement un droit sur les résultats.
– Un principe de mission comme norme de gestion de l’entreprise : dès lors que l’autorité de gestion engage un collectif d’action dans l’inconnu, alors sa légitimité vient de sa capacité à respecter certaines normes générales : norme de responsabilité (ou de vigilance) qui impose que les risques connaissables soient écartés ; norme d’équité qui garantisse que l’action s’attache à préserver l’équilibre entre les parties constituantes. Mais ces normes d’ordre public ne suffisent pas. Quand l’entreprise œuvre à la transformation du monde, sa responsabilité est d’être gérée dans un intérêt collectif. En l’occurrence, l’entreprise sera d’autant plus efficace et légitime qu’elle explicitera en quoi l’action qu’elle mène vise des progrès collectifs. La qualification d’une mission spécifique de l’entreprise constitue donc la seule norme de gestion à même de fonder un pouvoir d’entreprise qui énonce ses responsabilités à l’égard de la Société. Elle relie ainsi l’intérêt propre de l’entreprise à l’intérêt collectif.
Source : "Gouvernement de l’entreprise, création de commun", collège des Bernardins, lu juillet 2018
Une présentation synthétique des travaux de recherche sur l’entreprise menés au Collège des Bernardins entre 2009 et 2018 auxquels une trentaine de chercheurs de différentes disciplines (économie gestion, droit, sociologie, anthropologie) ont été associés.
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