Fondation d'entreprise
 
 
Dominique Steiler
Mindfulness 
Forme 
Management 
25 jan 2018

« En entreprise, la méditation de pleine conscience permet d’assumer pleinement son rôle »

Depuis presque 20 ans, Dominique Steiler est chercheur et enseignant senior à l'Ecole de Management de Grenoble, où il dirige le Centre Développement Personnel et Managérial. Pratiquant la méditation, il est titulaire de la Chaire de recherche et d’enseignement Mindfulness, Bien-être au travail et Paix économique, créée en 2012. Rencontre avec cet expert de la pleine conscience.

Interview réalisée à l'initiative de Lucie Pascutto, fondatrice de Mindful Attitude.

Êtes-vous à l’origine de la création de la chaire Mindfulness, Bien-être au travail et Paix économique ?


A Grenoble, oui. Je suis arrivé en 1999 et j’ai commencé à travailler sur des thématiques liées au stress, la souffrance et le bien-être au travail, pour de plus en plus me concentrer sur le bien-être au travail. Après la publication en 2010 du livre intitulé Eloge du bien-être au travail*, j’ai été contacté par un dirigeant qui souhaitait mettre en place quelque chose autour du bien-être au travail. Ne se sentant pas compétent pour aborder seul le sujet il a souhaité qu’on en discute ensemble.

De mon côté, j’avais déjà le projet de créer une chaire autour de la pleine conscience. Mais en 2011 la pleine conscience personne n’en entendait parler. La pleine conscience n’était pas un mot ou un vocable qu’il était possible d’utiliser. C’est pour ça pour qu’on a appelé la chaire Mindfulness en gardant le terme anglais. Quand ce patron m’a demandé ce qu’on pouvait faire, mon dossier pour créer un centre de recherche était déjà prêt. Je lui en ai parlé en lui disant que j’avais besoin de soutien », entre autres de soutien financier. Et c’est comme ça que tout a commencé.

Quels sont pour vous les facteurs qui font que la méditation de pleine conscience commence à s’installer en entreprise ?


Je pense qu’il y a plusieurs facteurs. Le premier : ces quinze, vingt dernières années ont permis doucement de se rendre compte que la dimension humaine était vraiment la dimension fondamentale du monde du travail. L’arrivée de la pleine conscience est assez concomitante à mon avis à plusieurs choses. Dans différents secteurs académiques qui se sont occupés du sujet, les premiers étant les médecins, ensuite les psychothérapeutes et tout doucement le monde du management, la recherche est venue donner un point d’appui.

En France, il y a eu toute une médiatisation coordonnée par Christophe André et Matthieu Ricard, des personnalités très connues. Ils ont commencé à dire que la méditation en pleine conscience avait un intérêt. Dans leurs communications, les travaux de recherche en neurosciences ont eu un impact assez fort sur la population.

Le dernier facteur est le sentiment de mal-être qu’on retrouve dans le monde du travail. Depuis maintenant assez longtemps, les gens qui se posent la question de comment améliorer les choses. Que ce soient les employés eux-mêmes mais aussi des dirigeants, des managers. Ils ont certainement vu dans la pleine conscience un nouveau moyen de pouvoir transformer la relation professionnelle.

Quel est le meilleur moyen pour amener la pleine conscience en entreprise ?


Comme je l’ai évoqué précédemment la pleine conscience est arrivée principalement par le monde médical (en médecine ou en psychothérapie). Et c’est une très bonne chose. Parce qu’ainsi tous les effets directs de la pleine conscience sur la douleur, la dépression, sur l’anxiété, sur le bien-être ont été mis en lumière.

Et c’est certainement comme ça que les entreprises s’en sont saisies. Elles se sont dit « nous avons aussi nos salariés qui ne vont pas très bien, qu’est-ce que nous pouvons leur donner, leur apporter pour qu’ils aillent mieux ? »

La difficulté pour moi aujourd’hui c’est que l’entreprise a tendance, de temps en temps, à réduire ce que la pleine conscience peut lui apporter à simplement « pratiquons comme ça nous irons mieux, pratiquons comme ça nous aurons moins de stress ».

La vraie raison pour moi de pouvoir intégrer la pleine conscience en entreprise, c’est vraiment de pouvoir dire, qu’au travers de cette pratique, nous allons permettre aux gens d’avoir un contact un peu plus direct de la situation qu’ils sont en train de vivre. Et ce contact plus direct va leur permettre de comprendre comment ils réagissent habituellement.

Puisque la problématique de la pleine conscience est là. Comment vais-je pouvoir donner une réponse plus directe, plus ajustée, plus consciente à une situation, là où habituellement j’ai une réaction automatique très insatisfaisante ? Et c’est en ça que ça devient intéressant pour l’entreprise. Pour amener les gens à ouvrir un petit peu plus l’espace de liberté, de leur mouvement y compris intellectuellement, dans ce qu’ils sont en train de faire. C’est ici pour moi que se joue l’intérêt de la pleine conscience au travail. C’est la notion de « Je reprends ma responsabilité dans le rôle que j’ai à jouer dans l’entreprise. »

Que conseilleriez-vous à un dirigeant pour intégrer la pleine conscience dans son entreprise ?


Ce n’est pas facile comme question ! J’aurais tendance à dire ce qu’il ne faut pas faire. Et donc, en caricaturant un peu, ne pas intégrer la pleine conscience si on pense « On vous fait un petit cadeau, un truc sympa, on peut méditer ensemble ça va vous détendre, ça va sera bien. » Au contraire, je prendrais beaucoup de temps pour pouvoir montrer à quel point la qualité et la performance de notre entreprise dépend de tout un ensemble de facteurs, organisationnels, de processus et humains. Que la pleine conscience me semble être, moi dirigeant, un des axes majeurs qui nous permettra à chacun de pouvoir assumer notre rôle pleinement.

D’après vous quelle serait l’une des dérives de l’utilisation de la pleine conscience ?


Dans la recherche en management, l’un des points qui nous importent le plus en ce moment, ce sont les problématiques d’instrumentalisation d’un outil, d’une approche, d’une méthode quelle qu’elle soit. Et malheureusement pour la pleine conscience il est en train de se passer la même chose. Certaines entreprises s’en servent pour autre chose que ce pour quoi elle a été créée, ou ce qu’elle peut réellement apporter en entreprise.
Certaines entreprises vont l’utiliser comme un séminaire incentive mais n’en feront rien de plus après.
D’autres entreprises pourraient l’utiliser pour marginaliser ou identifier certaines personnes. « Tiens Marcel tu vas pas très bien, je vois que tu te mets en colère souvent dans les réunions, tu vas aller au séminaire de pleine conscience, tu verras ça te fera du bien, après tu seras un peu plus performant. » Donc l’utiliser comme un processus de stigmatisation.

Autre processus, le processus de performance qui fait dire aux dirigeants « puisque la pleine conscience a tendance à réduire le stress, améliorer la satisfaction, améliorer le bien-être, je vais leur donner de la pleine conscience comme ça je pourrais ajouter une charge de travail complémentaire. Ils seront un peu plus puissants pour tenir une charge de travail complémentaire. »

Ces 3 exemples méritent qu’on y prête attention, car si vraiment il y a une instrumentalisation de la pleine conscience nous allons retomber dans le même piège dans lequel nous tombons systématiquement quand des travaux sont menés sur la dimension humaine : ça va devenir un gadget, ça va s’effriter et tout doucement ça va disparaître.

* Éloge du bien-être au travail, par Dominique Steiler, John Sadowsky et Loïc Roche, éditions Presse Universitaire de Grenoble, 2010, 104 pages.

 
Dominique Steiler est docteur en management de l'Université de Newcastle. Il est professeur à Grenoble École de Management et depuis 2015, research fellow au CTI, Princeton, NJ. Il a un Master recherche en réadaptation sociale des personnes en situation de handicap. Il consacre ses recherches académiques et son travail de consultant à la transformation personnelle, managériale et au développement d’une économie performante et pacifiée. Pratiquant la méditation depuis plus de vingt ans, il crée en 2012 la Chaire de recherche « Mindfulness, Bien-Etre au Travail et Paix Economique ».

 

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