Fondation d'entreprise
 
 
André Letowski
Gestion 
06 sep 2019

Un rapport fort exhaustif du Sénat sur la numérisation

Le numérique est en retard tant dans les TPE/PME que chez les salariés, alors qu’il est un atout essentiel pour la croissance des entreprises et leur positionnement dans la concurrence.

⇒ Son contenu

Après avoir traité de ce qu’est la numérisation et l’enjeu essentiel qu’il représente, le rapport fait le constat de la difficulté à parvenir à cette transformation tant du coté entreprises (notamment les PME et TPE), que du coté salarié. Il développe les instances impliquées dans cette transformation (CCI, fédérations professionnelles, associations, start-ups conseil), tout en précisant le rôle des plateformes et les problèmes que cela pose. Le rapport s’interroge encore sur l’appui des Pouvoirs Publics (notamment l’État), ainsi que sur la couverture du territoire en termes de télécoms. Enfin, il propose d’observer les expériences étrangères, notamment Allemande, Danoise et la stratégie Européenne déployée.

⇒ un constat de l’ampleur du développement du numérique

♦ Depuis 2010, le chiffre d’affaires du commerce de détail a augmenté de 18 %, contre 160 % pour le commerce électronique. En cinq ans, de 2012 à 2018, le commerce en ligne a doublé, passant de 307 à 602Md€ au sein de l’Union européenne, Il reste toutefois marginal dans le volume total du commerce.

En France, sa part est passée de 4,2 % en 2013 à 6,2 % en 2018 pour atteindre 92,6Md€, en hausse de 13,4 % par rapport à 2017 ; les 100Md€ devraient être dépassés en 2019.

1,5Md de commandes enregistrées (+20,7 % par rapport à 2017); début 2019, 38,8 millions d’internautes avaient déjà effectué des achats en ligne, soit 87,5, 1,3 million de cyberacheteurs de plus en un an. Globalement, les particuliers sont davantage numérisés que les entreprises françaises (15ème rang sur 28 en Europe) : 2/3 des consommateurs français achètent en ligne alors que 15 % seulement des PME vendent en ligne, contre 44 % pour les grandes entreprises.

65 % des Français réalisent de tels achats contre 53 % des citoyens de l’Union européenne et une moyenne de 60 % des citoyens des cinq économies principales de l’Union européenne.

♦ Les craintes de disparition des emplois du fait de la numérisation des entreprises ont été vives, mais semblent désormais plus mesurées; on estime désormais qu’un emploi perdu en raison de la révolution numérique est compensé par 2,6 emplois créés : le problème est qu’ils ne le sont, ni dans le même secteur, ni dans le même pays que les emplois détruits. La montée en puissance d’internet aurait fait disparaître 500 000 emplois entre 1995 et 2010, mais en a également créé 1,2 million dans le même temps. Le solde net s’élève donc à 700 000 emplois créés, soit 1,4 emploi ajouté pour chaque emploi transféré d’un secteur traditionnel vers les activités issues du web.

Ce résultat correspond au quart des créations nettes d’emplois enregistrées en France sur cette période. L’impact sur le salariat et l’emploi est donc moins celui de la fin du travail qu’une immense transformation de l’emploi, touchant en priorité les métiers et tâches peu qualifiés

Les emplois liés au numérique ne représentent que 2, 7 à 3,7 % du total des emplois en France, dans la fourchette basse de la moyenne des pays de l’OCDE. Les entreprises françaises dans leur ensemble sont comparativement peu numérisées (16ème rang en matière de numérisation de leurs processus) et, en dépit de son dynamisme entrepreneurial, notre pays peine à faire émerger des licornes : elles sont moitié moins nombreuses qu’en Allemagne et six fois moins qu’au Royaume-Uni.

⇒ Qu’en est-il des PME et du numérique en France ?

♦ En 2019, la France s’est classée en 15ème position sur les 28 États membres de l’Union européenne contre le 16ème rang en 2018, et le 14ème en 2016. Elle appartient au groupe qui obtient des « résultats moyens » et reste loin derrière les pays les plus performants de l’Union.

Pour Mc Kinsey, 63 % des TPE françaises ont un site internet contre 91 % en Allemagne et l’automatisation de la chaîne logistique n’a été engagée que par 25 % des PME françaises (et 11 % des TPE) contre 43 % au Danemark (26 % pour les TPE) ou 41 % en Allemagne (21 % pour les TPE). Un tiers des dirigeants de ces TPE-PME ne sont pas à l’aise avec les outils numériques ; la majorité ne souhaite pas d’aide pour leur transition numérique et un sur quatre ne pense pas qu’une telle évolution soit inéluctable d’ici 2025. La situation semble particulièrement préoccupante en matière de numérisation des achats.

♦ En septembre 2017, une enquête de terrain conduite par BpiFrance auprès de 1 814 dirigeants de PME et d’ETI faisait apparaître que la révolution numérique était subie, extérieure à l’entreprise, invisible et fondamentalement encore trop incomprise : 45 % des dirigeants n’avaient pas de vision de transformation numérique de leur entreprise et 73 % avouaient qu’ils étaient très peu avancés dans la numérisation ; 63 % n’avaient pas établi de stratégie, 47% estimaient que l’impact sur leur entreprise ne sera pas majeur avant 5 ans et 20% que le temps de la transformation numérique n’était pas encore venu ; 60 % n’exploitaient pas les données liées à la vente ou à la relation client alors qu’il s’agit, comme on l’a vu, du « carburant » de l’économie numérique et qu’elle constitue une source de valeur. Plus la dimension d’une entreprise est réduite, moins elle est susceptible d’offrir des solutions de vente en ligne ou d’intégrer des outils numériques efficients.

Ce même rapport de Bpifrance évoquait « l’incompréhension des dirigeants de PME face au numérique ». Les causes du retard français semblent d’abord psychologiques, même si le manque de temps, de moyens financiers, de formation et de compétences jouent également.

♦ Au total, trois profils se dégageaient : 10 % de chefs d’entreprises « conquérants », convaincus de la nécessité de cette transformations mais dont 39 % se heurtent à des freins organisationnels, 38 % de « sceptiques » qui restent à convaincre des impacts de la transformation numérique et, entre ces deux catégories, 52 % « d’apprentis » qui s’y engagent mais manquent encore de moyens financiers (31 %) ou de compétences (35 %) pour la mener à bien.

♦ Par ailleurs, quand elle existe, la numérisation n’irrigue pas suffisamment tous les services de l’entreprise et reste très orientée vers la communication, la stratégie digitale des entreprises demeurant trop en silos. Si 73 % des entreprises interrogées ont une équipe dédiée à la transformation numérique, seules 33 % d’entre elles sont en interaction avec d’autres départements

♦ Toutefois, un tournant semble s’être opéré en 2018 en ce qui concerne l’ e-commerce : la proportion des PME de plus de 5 salariés a doublé en trois ans (de 12 % en 2015 à 25 % en 2018) au détriment des entreprises unipersonnelles.

Ces PME sont, à 45 %, implantées dans des villes de moins de 20 000 habitants ; 80 % des chefs d’entreprise qui gèrent un site de e-commerce appartient à la tranche 35-64 ans; 83 % de leurs sites sont rentables ou à l’équilibre.

Leur principale motivation est d’améliorer le service au client (55 %) avant d’en conquérir de nouveaux (29 %) ou d’optimiser les coûts (16 %).

⇒ Quel impact positif apporte le numérique ?

♦ 80 % constatent un impact de leur site sur leur magasin physique contre 56 % en 2016 ; 60 % de ceux qui possèdent une boutique physique et une boutique en ligne ont vu leur chiffre d’affaires progresser de plus de 10 %. Alors que 12 % des entreprises françaises exportent, celles qui font du e-commerce sont 57 % à le faire.

♦ Une étude réalisée par l’ACSEL en avril 2019 souligne que les entreprises engagées dans leur transformation numérique ont 2,2 fois plus de chance d’être en croissance que celles qui n’ont entamé aucune transformation. 77 % (87 % chez les ETI) jugent que le numérique participe à leur croissance; au total, 34 % des entreprises reconnaissent que le numérique contribue pour plus de 25 % à leur croissance.

Les digital champions (pour 93 % des PME), entreprises qui ont mis en place les bonnes pratiques et en tirent des bénéfices, déclarent à 64 % avoir connu de meilleurs résultats en 2018, 19 points de plus que le total du panel; ils prévoient à l’unanimité une croissance en 2019, contre 46 % des autres entreprises.

Parmi les réseaux sociaux utilisés, si Facebook reste dominant (79 % en 2018), Instagram perce (37 % en 2018, contre 11 % en 2016), tandis que Twitter régresse (20 % en 2016, 15 % en 2018).

⇒ Les difficultés rencontrées

♦ La cybersécurité est l’une des principales failles du e-commerce. Le cabinet PwC, dans son étude mondiale 2017, a estimé les pertes financières subies par les entreprises françaises en raison de problèmes de cybersécurité à 2,25M€ en moyenne, un chiffre en hausse de 50 % par rapport à l’année précédente ; or 75 % des failles identifiées sont humaines. Selon une autre étude de janvier 2019, 4 PME sur 10 ont subi des attaques informatiques : 24 % du phishing, 20 % un malware, 16 % un rançongiciel et 6 % une fraude au président.

♦ Selon une enquête sur l’illectronisme en France de juin 2018, commandée par le Conseil supérieur de l’audiovisuel, 19 % des Français ont renoncé à faire « quelque chose » parce qu’il fallait utiliser internet, ce taux s’élevant à 32 % dans la catégorie artisans/commerçants/chefs d’entreprise. Cela représente 13 millions de Français qui n’utilisent pas ou peu internet, dont 6,7 millions qui ne s’y connectent jamais. Il y a donc un grand besoin de formation.

La Commission européenne estime que 90 % des emplois de l’Union européenne nécessitent au moins une culture numérique sommaire, 39 % des actifs en sont dépourvus en France, soit le double du Danemark ou des Pays-Bas. Il s’agit là d’un handicap critique d’employabilité autant que de productivité pour la France.

♦ Autre sujet, plus préoccupant, la pénurie de main d’œuvre. Il manque d’ores et déjà (à l’horizon 2020) 80 000 emplois dans le domaine des technologies de l’information.

L’embauche de spécialistes du numérique reste complexe pour les entreprises, quelle que soit leur taille : parmi celles ayant essayé de le faire en 2016, 35 % des PME et 46 % des grandes entreprises ont eu des difficultés pour trouver la personne adaptée. Selon une estimation, de la DARES, 50 000 postes sont non pourvus dans le numérique et 191 000 postes seraient à pourvoir d’ici à 2022.

⇒ La politique publique

La politique publique s’est excessivement concentrée soit sur la création de conditions favorables à la création de start-up, soit sur le volet industriel de la numérisation de l’économie, délaissant trop longtemps les PME traditionnelles.

Cette politique publique a eu en effet trois caractéristiques : le rôle de l’État est très subsidiaire, laissant aux régions le soin de construire l’offre d’accompagnement ; la politique déployée se contente de vouloir numériser l’industrie existante sans inventer l’industrie du futur; elle est centrée sur les 30 000 PME industrielles à moderniser d’ici 2022, ignorant les autres branches de l’économie, laissant de côté la majorité des PME/TPE.

Pour en savoir davantage : https://www.senat.fr/

" l’accompagnement de la transition numérique des PME : comment la France peut-elle rattraper son retard ? " Sénat, rapport N°635, août 2019
Un rapport de plus de 200 pages, particulièrement documenté, qui débouche sur 14 recommandations.

Le numérique est en retard tant dans les TPE/PME que chez les salariés, alors qu’il est un atout essentiel pour la croissance des entreprises et leur positionnement dans la concurrence.
 
André Letowski est expert en entrepreneuriat, en petites et très petites entreprises. Il publie une note mensuelle regroupant une sélection brute ou retravaillée et commentée des corpus statistiques français, des enquêtes et publications concernant le domaine des TPE, PE et PME.




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