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Antoine Lutz
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21 oct 2020

L'ABC des experts : La méditation et les neurosciences avec Antoine Lutz

Découvrez l'entretien et les conseils du directeur de recherche à l'INSERM Antoine Lutz présents dans le guide de la Fondation MMA "L'entrepreneur en forme".

Méditation et neurosciences : quelles opportunités pour les entrepreneurs ? 

Les neurosciences offrent une perspective complémentaire aux sciences sociales et humaines pour aborder la question du bien-être des entrepreneurs. Ci-dessous, nous explo- rons cette possibilité à l’aide de travaux des neurosciences cognitives pour caractériser l’impact de la pratique régulière de la méditation sur la cognition et le bien-être.

Comme l’a indiqué Olivier Torres, l’entrepreneur est particulièrement touché par le stress lié aux incertitudes et aux vulnérabilités financières de leur PME. Il est bien connu du grand public que le stress chronique est un facteur de risque pour la santé en accélérant notamment le vieillissement de nos cellules, ou en augmentant le risque de maladies cardio-vasculaires, auto-immunes ou de cancers. Les entrepreneurs doivent aussi prendre conscience que le stress chronique affecte également leur « réserve cognitive », que l’on peut comprendre comme leur capacité à réguler leurs émotions et leur attention et à trouver des solutions innovantes aux challenges de la vie. Comme l’a résumé une récente méta-analyse en neurosciences, le cerveau est fragilisé par le stress chronique. Il est possible d’observer des changements anatomiques dans les régions du cortex préfrontal (fonctions cognitives de haut niveau), de l’hippocampe (mémoire), et de l’amygdale (affects). La densité de matière grise dans ces régions et le volume du cerveau sont réduits suite à des situations de stress chronique (par exemple suite à des traumatismes dans des zones de guerre). Ces changements anatomiques impactent négativement nos capacités cognitives et mnésiques (Davidson & McEwen Nature Neurosciences 2012 15(5)).

La pratique de la méditation pourrait être vue, pour reprendre la terminologie d’Olivier Torres, comme un facteur « salutogène » possible pour protéger la santé physique et mentale des entrepreneurs. La méditation, dont il existe diverses formes, s’est répandue dans le monde laïc. Elle
 est notamment pratiquée dans les hôpitaux, les écoles
 et maintenant le monde de l’entreprise. De nombreuses grandes entreprises comme Google, Renault, ou Sanofi
la propose à ses employés. Elle produit plusieurs effets bénéfiques sur le plan psychologique. Par exemple, les pratiquants apprennent à mieux contrôler leur attention
et sont moins sensibles au stress (Rosenkranz et al. 2013).

femme meditation

Dans une étude, nous avons montré que l’entraînement à la méditation augmente la capacité à contrôler et modérer les réponses physiologiques à un stress social : lorsque le sujet doit parler en public ou procéder à un calcul mental face à un jury sévère, par exemple, il développe moins d’inflammations et sécrète moins d’hormone de stress s’il est adepte de la méditation.

L’imagerie cérébrale et d’autres techniques ont permis de montrer qu’elle modifie l’activité et la structure du cerveau. Les objectifs de la méditation recoupent largement ceux de la psychologie clinique, de la psychiatrie, de la médecine préventive et de l’éducation. Un nombre croissant de recherches suggèrent qu’elle peut aider à traiter la dépression et la douleur chronique, ainsi qu’à développer un sentiment de bien-être général. Plusieurs études ont révélé les bienfaits de la pleine conscience sur l’anxiété et la dépression, ainsi que sur le sommeil. Les patients déprimés peuvent utiliser la méditation pour gérer les pensées et les sentiments négatifs qui surviennent spontanément, et ainsi atténuer les ruminations.

En 2000, les psychologues cliniciens John Teasdale, alors à l’Université d’Oxford, et Zindel Segal, de l’Université de Toronto, ont fait pratiquer pendant six mois la méditation de pleine conscience à des patients qui avaient souffert d’au moins trois épisodes de dépression, en associant cette pratique à une thérapie cognitive. Au cours de l’année suivant la dernière dépression sévère, le risque de rechute était réduit de près de 40 %. Plus récemment, Z. Segal a montré que cette intervention est plus efficace qu’un placebo et équivaut à un traitement par antidépresseurs pour la prévention des rechutes.

La découverte des bienfaits de la méditation coïncide avec des résultats récents sur la plasticité du cerveau adulte, qui peut être profondément modifié par l’expérience vécue. Ainsi, chez un violoniste, une région cérébrale qui contrôle les mouvements des doigts s’agrandit progressivement à mesure qu’il apprend à jouer de son instrument. Un processus similaire semble se produire lors de la méditation. Le pratiquant régule ses états mentaux pour parvenir à
une forme d’enrichissement intérieur, ce qui modifie le fonctionnement et la structure du cerveau. La méditation semble même susceptible d’augmenter la connectivité des circuits cérébraux et de produire des effets bénéfiques non seulement sur l’esprit et le cerveau, mais aussi sur l’ensemble du corps.

La méditation s’enracine dans les pratiques contemplatives de presque toutes les grandes religions. Elle est très présente dans les médias, mais avec diverses significations. Pour nous, pratiquer la méditation signifiera cultiver des qualités humaines fondamentales, telles que la stabilité et la clarté de l’esprit, l’équilibre émotionnel, le souci des autres et même l’amour altruiste et la compassion – des qualités qui restent latentes tant que nous ne nous efforçons pas de les développer. C’est aussi une familiarisation avec une manière d’être plus sereine et plus souple.

La méditation est relativement simple et peut se pratiquer partout.
Aucun équipement n’est nécessaire. Le méditant commence par adopter une posture physique confortable, ni trop tendue ni trop relâchée, et par souhaiter une trans- formation intérieure, ainsi que le bien-être des autres et le soulagement de leurs souffrances. Il doit ensuite stabiliser son esprit, trop souvent confus et envahi par un incessant bavardage intérieur. Cela passe par une libération des conditionnements mentaux.

Un conditionnement mental se comprend dans ce contexte comme une habitude de l’esprit. Lorsqu’on met son esprit au repos, on peut noter qu’il a une tendance spontanée
à vagabonder, attiré par un projet, ou en train de ruminer sur un dossier qui n’avance pas ou des soucis de travail.

La méditation de pleine conscience permet de développer la capacité à observer avec une distance cette vie mentale spontanée, à la ressentir plus pleinement sans réagir ou être absorbée par elle. Elle permet d’être moins le « nez-dans
le guidon », de s’ouvrir plus au moment présent avec plus de curiosité et de bienveillance. Certains études en psychologie de l’économie suggèrent que cette attitude de pleine conscience améliore la prise de décision, car changeant sa relation à une situation que l’on percevait d’abord comme stressante, cela libère des ressources attentionnelles, plus d’espace mental, pour trouver la solution la plus adaptée au moment présent.

Wendy Hasenkamp, de l’Université Emory aux États-Unis, et ses collègues ont utilisé l’imagerie cérébrale (l’imagerie par résonance magnétique fonctionnelle, IRMf ) pour identifier les réseaux neuronaux activés dans la méditation par attention focalisée, dans laquelle le méditant s’entraîne à garder son esprit sur un objet particulier sans être distrait. Dans le scanner, les participants ont appris à concentrer leur attention sur leur respiration. En général, pendant cette forme de méditation, l’esprit se met à vagabonder, et le pratiquant doit en prendre conscience puis recentrer son attention sur le rythme régulier de l’inspiration et de l’expiration. Dans cette étude, le méditant allongé dans le scanner signalait quand son esprit vagabondait en appuyant sur un bouton. Les chercheurs ont identifié un cycle cognitif de quatre phases : un épisode de vagabondage de l’esprit, une prise de conscience de la distraction, un moment de réorientation de l’attention et une nouvelle phase d’attention focalisée.

Dans chacune des quatre phases, des circuits cérébraux particuliers s’activent. Lors de la première, durant laquelle l’esprit se laisse distraire, l’activité augmente dans le réseau dit du “mode par défaut”. Ce réseau comprend des régions du cortex préfrontal médian, du cortex cingulaire postérieur, du précuneus, du lobe pariétal inférieur et du cortex temporal latéral (voir l’encadré page ci-contre). Il s’active lorsque l’esprit vagabonde et est impliqué dans la construc- tion et la mise à jour de modèles internes du monde, fondés sur des souvenirs à long terme relatifs à soi ou aux autres. Lors de la deuxième phase, où l’on prend conscience de la distraction, d’autres aires cérébrales s’activent, telles que l’insula antérieure (un repli du cortex au niveau des tempes) et le cortex cingulaire antérieur. Ces aires appartiennent au « réseau de la sailliance » (qui re-oriente la conscience vers ce qui est saillant). Ce dernier régule les sensations qui pourraient distraire le sujet au cours de la réalisation d’une tâche. Il jouerait un rôle clé dans la détection d’événements nouveaux et dans le transfert d’activité entre de vastes ensembles de neurones durant la méditation. Il pourrait déplacer l’attention en atténuant l’activité du réseau du mode par défaut, par exemple. La troisième phase fait intervenir d’autres aires cérébrales, dont le cortex pré- frontal dorso-latéral et le lobe pariétal inféro-latéral, qui réorientent l’attention du sujet en la détachant de tout élément susceptible de créer une diversion. Enfin, durant la quatrième et dernière phase, l’activité augmente dans une région située en arrière du front, le cortex préfrontal dorso-latéral, ce qui indique la focalisation de l’attention, sur la respiration par exemple.

Dans notre laboratoire à l’Université du Wisconsin, nous avons constaté que l’activité cérébrale dans ces aires liées à l’attention dépendait du niveau d’expérience du méditant. Par rapport aux novices, les pratiquants ayant médité plus de 10 000 heures présentaient une activité plus intense (Brejcenski-Lewis, Lutz et al. 20). Paradoxalement, pour les plus chevronnés de ces experts, le phénomène s’inversait : leur activité cérébrale était moins intense que celle de leurs confrères un peu moins expérimentés. Ainsi, les meilleurs méditants semblent avoir besoin de moins d’efforts pour atteindre une grande concentration, un peu comme les musiciens et les athlètes virtuoses s’immergent naturellement dans leur pratique, sans consacrer trop de peine à tout contrôler.

Dans une autre expérience, nous avons examiné des pratiquants de la méditation par attention focalisée avant et après une retraite de trois mois, lors de laquelle ils ont effectué des exercices intensifs pendant au moins huit heures par jour. Nous leur avons donné des casques diffusant des sons de fréquence fixe, parfois mé- langés avec des sons légèrement plus aigus. Ils devaient se concentrer sur ce qu’ils entendaient et se manifester quand un son plus aigu retentissait. Après la retraite, les méditants avaient des temps de réaction moins variables que les sujets d’un groupe témoin dans cette tâche répétitive, propice aux distractions. Ce résultat suggère que les méditants avaient une capacité accrue de vigilance. En outre, la variabilité inter-essais des réponses électriques de leur cerveau à des sons présentés en continu pendant la tâche étaient plus homogènes, suggérant que les méditants étaient moins absorbés dans des distractions pendant la tâche.


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Antoine Lutz est directeur de recherche à l'INSERM. Il dirige l'équipe Eduwell au centre de recherche en neurosciences de Lyon INSERM U1028 - CNRS UMR5292, France. 

Ses travaux portent sur l'étude des bases neurophysiologiques de la méditation et de l'impact de ces pratiques sur la santé et le bien-être.

 

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