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Olivier Torres
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23 oct 2020

L'ABC des experts : Le stress avec Olivier Torres

Découvrez l'entretien et les conseils d'Olivier Torres, chercheur associé à Montpellier Business School, présents dans le guide de la Fondation MMA "L'entrepreneur en forme".

Pourquoi n'aimez-vous pas la distinction entre le bon stress et le mauvais stress ?

Rappelons d’abord qu’il n’y a pas de vie sans stress. C’est un mal nécessaire qui dans certaines circonstances peut même s’avérer salvateur. Mais une vieille théorie, la fameuse loi Yerkes-Dodson publiée en 1908, à laquelle nous devons tordre le cou, stipule qu’il y aurait un bon stress (eustress) et un mauvais stress (distress). Cette distinction est insidieuse car elle peut fournir des arguments pour instaurer un 57 management par le stress. Si le stress est bon et source de performance, alors il n’y a qu’à l’augmenter pour améliorer les performances individuelles et collectives dans une entreprise.

Plusieurs théories en management se rapprochent de ce type de raisonnement pernicieux. Dans la théorie du strategic intent de Hamel et Prahalad, deux professeurs de la Harvard Business School, la vision est appréhendée comme un facteur créateur de tension. « La vision consiste pour l’entreprise, à s’imposer des ambitions dans le long terme totalement disproportionnées au regard des moyens présentement à disposition (Hamel & Prahalad, 1989). “La tension, ainsi que la créativité qu’elle engendre, sont le moteur et l’énergie de la croissance et de la vitalité de l’en-treprise” (Hamel, 1991) ». Si l’on transpose cette théorie dans le domaine de la santé au travail, il est clair qu’elle est anxiogène et génératrice de stress. Andy Grove ne dit pas autre chose quand il intitule un de ses best-sellers « Seuls les paranoïaques survivent » !

Dans ce livre biographique, il explique que le moteur psychique qui lui a permis de mener son entreprise au sommet a été « la peur intense des concurrents, des consommateurs et des progrès techniques, la peur permanente de se faire dépasser, de ne pas pouvoir s’adapter à l’évolution et de périr, le stress qui l’a forcé à se remettre en cause de façon permanente quitte à être paranoïaque ».

Le modèle managérial du juste-à-temps et sa chasse aux délais n’est pas mal non plus en termes de management stressant. Or, l’accumulation de travaux empiriques (méta-analyses) a montré que la Loi Yerkes Dodson est fausse dans 90 % des cas. Philippe Rodet (2011) relate les travaux d’Eric Gosselin sur le lien entre le stress et la performance. Selon une métaanalyse de 52 études, menées entre 1980 et 2006, portant sur la relation entre le stress et performance, 75 % (39/52) des études confirment une relation inversement proportionnelle entre le stress et la performance et 15 % (8/52) des cas, les études n’observent aucune relation entre le stress et la performance.
Seules 10% des études identifient la relation curvilinéaire de Yerkes & Dodson entre le stress et la performance, c’est-à-dire que la performance augmente avec un peu de stress et diminue s’il y en a trop peu ou trop.

Les événements satisfaisants de l'activité entrepreneuriale (Torrès et Lechat)
activite entrepreneuriale

L’idée qu’il existerait un type de stress aux vertus positives — nommé eustress par Selye (1974) — est aujourd’hui remise en cause. En effet, le stress s’avère néfaste tant pour la performance organisationnelle (Richard & Gosselin, 2010) que pour la santé personnelle (Kivimäki et al., 2012).

Quelle est selon vous la bonne théorie ? 

Celle qui distingue challenge stressors et hindrance stressors. En clair, le stress subi et le stress choisi. Certes, le stress choisi est toujours délétère mais de manière amoindrie car ce qui le différencie du stress subi, c’est qu’il engendre aussi de la satisfaction au travail, ce qui est en revanche bon pour la santé. La réalisation de soi, l’ambition de se fixer des objectifs ambitieux, de se surpasser... C’est en fait ce que veulent dire Hamel et Prahalad sans le dire précisément. Ce n’est donc pas la tension qui compte mais la nature de cet écart. Avec l’Observatoire Amarok, nous avons mesuré ces deux types de stress et, par bonheur, la plupart des entrepreneurs sont davantage en stress choisi que subi. C’est pour cela qu’ils tiennent plus longtemps. L’entrepreneuriat est une bonne école du challenge, c’est la science de l’opportunité.

Cette distinction nous amène à un autre concept qui vous est cher, la salutogénèse. 

J’ai remarqué que peu de médecins connaissent cette notion que l’on doit à Aaron Antonosky dans les années 70. La salutogenèse s’intéresse aux facteurs qui génèrent de la bonne santé. En d’autres termes, il y a changement de paradigme car il ne s’agit plus de prévenir les facteurs pathogènes mais de promouvoir les bonnes pratiques. Parmi les nombreux facteurs salutogènes (on en a recensé 36), on retiendra la maitrise de son destin, l’endurance, la capacité d’adaptation, l’assomption de ses responsabilités, l’optimisme... On remarquera au passage que ce sont toujours des qualités qui sont souvent associés aux entrepreneurs. Dans une étude avec la FCGA, nous avons même montré que ces facteurs augmentent lorsqu’une personne s’inscrit dans une démarche entrepreneuriale. Néanmoins, ces effets salutogènes s’émoussent avec le temps et l’usure.

Comment prévenir le stress ? 

Il est nécessaire d’aider les entrepreneurs à repérer les stresseurs de la vie entrepreneuriale. Tous les événements de vie n’affectent pas avec la même intensité la santé. Un conflit avec un associé ou le pire des pires, une liquidation de l’entreprise sont autrement plus délétères que la démission d’un salarié ou une panne de machine. Mais ce sont tous des stresseurs entrepreneuriaux. Parmi les plus fréquents, on a repéré la surcharge de travail et les problèmes de trésorerie. 

Nous incitons le lecteur à se reporter au stressomètre entrepreneurial que nous avons élaboré avec Thomas Lechat. Cet outil, facile à utiliser, permet d’évaluer votre niveau de stress et de suivre son évolution dans le temps. Mais pour être complet, il faut aussi utiliser son contrepoids, le satisfactomètre entrepreneurial qui recense les événements positifs qu’un entrepreneur est amené à vivre. C’est en faisant la différence que l’on doit apprécier son véritable état de santé lié au travail.

Satisfactomètre entrepreneurial
Intensité moyenne de satisfaction ressentie
stress

Stressomètre entrepreneurial
Intensité moyenne du stress ressenti
stress
Un dernier point, comment améliorer sa santé et son bien-être face au stress ? En faisant durer le plaisir. Les satisfacteurs sont nombreux mais si l’on a remarqué que leur intensité était plus forte que les stresseurs, ils durent hélas moinslongtemps. Un événement positif est plus vite oublié qu’un événement négatif (Bad is stronger than good). C’est cette loi psychologique naturelle qu’il faut corriger. Quand l’entrepreneur est face à une bonne nouvelle, il doit faire durer le plaisir et se remémorer le plus souvent possible les bonnes choses qui lui arrivent (grosse commande, satisfaction de ses clients et de ses salariés, bons résultats annuels, prise de vacances, recrutement
d’un nouveau salarié, bonne entente entre associés...).

Retrouvez tous les autres conseils d'experts dans notre guide "L'entrepreneur en forme".

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Olivier Torres est Professeur à l'Université de Montpellier (LABEX Entreprendre) et Chercheur associé à Montpellier Business School.

Il est auteur de plusieurs ouvrages sur les PME, leur insertion au sein de leurs territoires, la notion de proximité et les stratégies de mondialisation. De plus, il a développé des travaux sur la santé des chefs d'entreprise dans le cadre de l'Observatoire AMAROK, premier observatoire sur la santé des travailleurs non salarié (agriculteurs, artisans, commerçants, professions libérales...) et la chaire "santé des entrepreneurs" du LABEX Entreprendre.
 

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