Fondation d'entreprise
 
 
André Letowski
Etudes 
14 avr 2022

Ce que pensent les jeunes et les patrons de PME

Certaines convergences s’observent notamment autour de l’environnement, du recours à l’entreprise pour y contribuer et des efforts à consentir. Mais la plupart des items sont en décalage, notamment ce qui concerne le rapport au travail.

Quelle position face à leur implication dans la société ?

⇒ Lorsqu’il s’agit d’envisager l’avenir, les dirigeants sont plus enthousiastes que les jeunes :

57% une vie future très satisfaisante (notes de 8/10 et plus), vs 36% les jeunes ; ces derniers sont 59% à se situer entre les notes 4 à 7 vs les chefs d’entreprise 39.

Détermination (car pour façonner l’avenir il faut agir) et optimisme (car quoi qu’il arrive, il y aura des opportunités à saisir) arrivent en tête chez les dirigeants (respectivement 54 et 35%) vs 28 et 25 chez les jeunes.

30% des jeunes se situent dans la crainte (devant un avenir qui semble sombre et angoissant) vs 7 les dirigeants, et 17% dans la nostalgie d’un passé révolu (vs 4).

Plusieurs études éclairent sur cette morosité. Par exemple, celle de Frédéric Dabi, où il souligne « le désenchantement de la jeunesse », un effondrement du niveau de bonheur chez les jeunes de 18-30 ans par rapport à 1999 (une chute de 27 points de ceux qui se disent très heureux).

⇒ Les enjeux environnementaux :

♦ Les dirigeants et les jeunes s’accordent pour dire qu’il faut accélérer en faveur de la transition environnementale (respectivement 76% des dirigeants et 68% des jeunes).

Selon une enquête récurrente menée par le Crédoc, les jeunes sont plus préoccupés que l’ensemble de la population par la dégradation de l’environnement. Les jeunes de profil Bac+5, se distinguent à 76%, les femmes et les moins de 45 ans à 83%.

La technologie doit en premier répondre aux enjeux climatiques, et environnementaux (78% les dirigeants, 57 les jeunes), puis à nourrir la population mondiale (52 et 49%), et enfin vivre en bonne santé et de plus en plus longtemps (31 et 45% les jeunes).

♦ L’intelligence artificielle (IA) et la robotisation sont perçues plutôt négativement par les jeunes : par 50% parce que conduisant à des pertes d’emploi aux conséquences graves (vs 16 pour les dirigeants), mais 29% pensent qu’ils peuvent entrainer à la fois destructions et créations d’emploi. Ce sont les actifs et ceux en recherche d’emploi qui sont les plus inquiets (56 et 53%), tandis que les profils Bac+5 (en étude ou déjà actifs) ne le sont qu’à 38%.

50% des dirigeants ne pensent pas que l’IA et la robotisation menacent l’existence de nombreux emplois.

Internet c’est pratique, en complément des liens physiques (79% les dirigeants vs 55 les jeunes) et même il faudrait aller encore plus loin (5% les dirigeants vs 15 les jeunes). Mais cela dégrade les liens sociaux (23% les jeunes, vs 16).

Il en va de même pour la vente en ligne : jeunes et dirigeants estiment que cela doit rester une pratique complémentaire à la fréquentation des boutiques (respectivement 48 et 69%) ; mais 21% des jeunes estiment qu’il faudrait aller plus loin (vs 10), alors que 23% (vs 18 les dirigeants) estiment que cela dégrade les liens sociaux.
Rappelons que peu de dirigeants interrogés sont dans les activités commerce.

Même type de remarque sur les réseaux sociaux, conçus comme pratiques (51% les jeunes vs 54 les dirigeants), et même pour 15% des jeunes il faudrait aller plus loin (vs 2 le dirigeants) ; par contre, 29% pensent que cela dégrade les liens sociaux (29 vs 40% les dirigeants)

⇒ La forme de gouvernance au sein de la société : vers une démocratie plus participative ?

Le recours à des élus (38% les dirigeants) ou à des experts (28% les dirigeants) reste très plébiscité chez les dirigeants, peu chez les jeunes (respectivement 13 et 14%). Les jeunes, aspirent à une démocratie plus directe et participative : 73% estiment que la prise de décision doit principalement s’appuyer sur les citoyens et la société civile au travers de consultations et de référendums (vs 34).

Cette remise en cause du poids des élus dans la décision relève davantage de l’âge que du statut ; ainsi plus l’âge des dirigeants diminue, moins ils sont attachés à un système de démocratie représentative (les moins de 45 ans sont 24% vs 38% de l’échantillon global).

♦ Tandis que 56% des dirigeants entrevoient la résolution des grands problèmes de notre société à l’échelle internationale, seuls 42% des jeunes abondent dans le même sens, laissant une place plus importante à l’échelon national (35% vs 17) et local ; mais paradoxalement, les dirigeants accordent plus d’importance que les jeunes à l’échelon local (27% vs 23).

⇒ La méritocratie l’emporte chez les dirigeants, un peu moins chez les jeunes

Une société fondée sur le mérite, dans laquelle chacun bénéficie des fruits de ses efforts à hauteur de son travail requiert les réponses de 86% des dirigeants vs 56 les jeunes, ces derniers privilégiant “une société égalitaire, dans laquelle le résultat des effort individuels est partagé avec les autres”, 42% vs 14.

Le niveau de diplôme influence leurs aspirations : 68% des jeunes de profil Bac+5, qu’ils soient étudiants ou déjà actifs, privilégient les valeurs méritocratiques vs 55% pour les profils inférieurs.

♦ 42% des dirigeants sont contre l’intensification des efforts pour garantir l’égalité (vs 28% les jeunes), 35% sont satisfaits de la situation actuelle (vs 40), alors que 23% veulent que cette idée se répande davantage (vs 33 les jeunes).

♦ La juste récompense des efforts et des talents individuels peut justifier certaines disparités importantes de revenus pour 70% des dirigeants (vs 46 les jeunes) ; mais 30% (vs 9 les dirigeants) ne savent dire s’ils sont ou non d’accord avec cette proposition ; finalement seulement 24% des jeunes ne sont pas d’accord (vs 21 les dirigeants).

⇒ Faut-il agir ? Qui participent les plus à la transformation ?

♦ La capacité d’agir pour une société meilleure est une croyance très partagée (98% les dirigeants et 96 les jeunes). 83% des dirigeants sont prêts à consentir un niveau d’effort significatif (note de 7 ou plus sur 10) vs 72 les jeunes. Une très forte homogénéité se dessine, puisque l’âge, le genre ou le statut ne jouent aucun rôle. Au global, malgré une forme diffuse de pessimisme et d’accablement, les jeunes restent volontaires et engagés pour participer à la construction de leur idéal de société.

68% des dirigeants (80% les dirigeants engagés) disent utiliser les moyens de leur entreprise (ressources financières, réseaux, savoir-faire) pour agir sur la société.

♦ Quels sont les acteurs qui peuvent avoir le plus d’impact pour ces transformations ? Chaque citoyen (64 les dirigeants vs 55 les jeunes) et les pouvoirs publics (État, Union européenne, collectivités locales, etc.) 61 vs 60%, puis les entreprises (50 et 35% les jeunes) et enfin les collectifs comme des associations et ONG (15 et 12).

Dans le cadre du travail

⇒ Rôle et sens du travail : des attentes différentes chez les jeunes et les dirigeants

♦ Le travail représente une source d’épanouissement personnel pour 71% des dirigeants vs 39 les jeunes. Ce décalage provient du fait que 61% des jeunes (vs 27 les dirigeants) considèrent d’abord le travail comme une condition d’intégration à la société ou un moyen d’atteindre l’autonomie financière.

65% des dirigeants déclarent qu’ils ne pourraient absolument pas travailler pour une entreprise dont l’activité irait à l’encontre d’une cause qui leur tient à cœur vs 32 les jeunes ; 44% des jeunes disent travailler par nécessité, mais pensent que cela leur poserait des difficultés dans leur quotidien ; enfin, 24% disent savoir dissocier convictions personnelles et activité professionnelle.

♦ Les trajectoires de carrière idéale pour les jeunes
L’indépendance avant tout : 37% disent créer leur propre emploi pour pouvoir rester le plus libre et indépendant possible, puis second item formulé, 30% rejoindre une entreprise dans laquelle ils pourront s’engager dans la durée. Peu, 13% changer fréquemment de poste pour découvrir de nouveaux environnements professionnels ; peu encore, 12% le type d’emploi importe peu du moment qu’il permette de subvenir correctement à leurs besoins ; 8% souhaiteraient trouver une solution pour ne pas être contraint de travailler.

Les 2 premiers atouts d’une entreprise mis en avant par les deux populations sont la convivialité (81% les dirigeants, 55 les jeunes) et l’engagement pour relever des défis sociétaux et environnementaux (51et 36).

Une forte croissance (28% les jeunes vs 7) et le développement à l’international (22 et 5) sont 2 autres facteurs importants dans le choix d’une entreprise par les jeunes, bien plus que ce que les dirigeants estiment. Enfin, une forte culture de l’innovation et de la prise de risque est appréciée par les 2 populations (21% chacune).

Pour 67% des dirigeants l’entreprise est avant tout un lieu de partage et de socialisation entre individus (vs 45 les jeunes) ; ces derniers (13% d’entre eux) disent toutefois que ce lieu de travail devient un peu comme à la maison et 6% un lieu où on peut habiter sur place et bénéficier de différents services.

Par contre, pour 27% des jeunes, elle est d’abord un lieu de travail, voire un non-lieu pour 9% toujours en déplacement (vs 21% cumulés pour les dirigeants).

♦ La recrue idéale : incompréhension entre jeunes et dirigeant

La fiabilité et la motivation ressortent comme la 1ére qualité recherchée chez une recrue, quel que soit le groupe interrogé (44% les jeunes et 39 les dirigeants) ; toutefois, la hiérarchisation des autres qualités diverge : les dirigeants plaident à 30% pour “un collaborateur créatif qui sait bouger les lignes et bousculer la routine pour explorer de nouveaux horizons” vs les jeunes (16%), et encore pour un collaborateur proactif qui sait prendre des initiatives et des risques (22 vs 19). Les jeunes demandent à être un collaborateur fidèle qui s’inscrit dans la durée du projet (21% vs 9).
Pour les dirigeants de moins de 45 ans, la tendance n’est pas tout à fait la même. Ils ne sont plus que 18% à rechercher des proactifs et 20% des créatifs, insistant davantage sur le collaborateur fidèle (17%).

De même, un certain malentendu demeure quant aux critères retenus pour estimer la valeur d’un candidat : les dirigeants préfèrent jauger leurs futurs collaborateurs en fonction de leur attitude générale et de leurs capacités d’interaction, plutôt que leurs compétences techniques ; 78% des dirigeants estiment que le savoir-être pèse ainsi davantage que le savoir-faire dans le recrutement des jeunes, alors que seuls 42% des jeunes en sont conscients. Plus le diplôme est élevé, moins on croit à l’importance du savoir-être. Notons que 36% des jeunes n’ont pas d’avis.

♦ Ce que recherchent les jeunes

Les jeunes, quel que soit leur niveau de diplôme, cherchent en priorité à profiter de leurs proches, comme les dirigeants (55%, vs 52 les dirigeants) et à jouir d’une certaine aisance financière (46% vs 18 les dirigeants qui y sont parvenus).
Même si l’engagement personnel dans une cause ne fait pas partie des premiers objectifs de vie des jeunes, il ne faut pas sous-estimer l’exigence qu’ils ont envers les entreprises dans ce domaine : 63% estiment que les entreprises devraient privilégier des engagements sociaux et environnementaux à un strict développement économique (74% les Bac+5).
55% des dirigeants visent à une vie intense, des expériences multiples ; bien moins les jeunes (19%). Par contre, 25% rêvent à une belle carrière professionnelle, reconnue par les autres, 14% à une vie en harmonie avec la nature.
Chez les dirigeants, la croissance et l’emploi demeurent des objectifs prioritaires (60% vs 37 les jeunes), mais 40% accordent malgré tout une importance primordiale à l’engagement sociétal des entreprises, vs 63% les jeunes.
Les réponses des jeunes ne reflètent leurs priorités qu’à cet instant précis de leur vie.

⇒ Zoom sur 4 populations

Les dirigeants engagés (41% des dirigeants) tranchent avec les positions des autres collègues
80% utilisent les ressources de leur entreprise pour agir sur la société
(vs 60 les autres collègues) et 87% pensent que les actes menés pour préserver la planète doivent être accentués (vs 68 les autres collègues). 40% estiment qu’en démocratie la prise de décision doit principalement s’appuyer sur les citoyens et la société civile (vs 30). 24% sont favorables à une société égalitaire (vs 7). 28% sont contre l’idée d’instaurer de grandes différences de revenus entre les gens pour récompenser les efforts et les talents individuels (vs15).

Enfin 73% ne pourraient absolument pas diriger une entreprise dont les activités iraient à l’encontre de leurs convictions personnelles (vs 60)

♦ Les dirigeants de moins de 45 ans (14% des dirigeants interrogés) nourrissent des aspirations sociétales quelques fois différentes de leurs aînés.

Alors que 6% des chefs d’entreprise sont craintifs face à l’avenir, les moins de 45 ans le sont un peu plus (14%). Ils restent tout de même très engagés : 15% ont mis une note de 10 pour le degré d’effort et d’engagement consenti pour atteindre leur idéal de société, contre 9% pour les plus âgés. 83 % souhaitent accélérer les actes menés pour préserver la planète (vs 75 pour les plus de 45 ans).

Ils sont aussi plus nombreux que le reste de leurs pairs à estimer que les entreprises doivent, avant même de penser au développement de leur business et de l’emploi, s’engager pour répondre à des enjeux sociaux et environnementaux (50 contre 39) ; ils sont moins nombreux à considérer le travail comme une source d’épanouissement personnel (62% vs 73). Leur activité est certainement plus génératrice de stress que chez leurs aînés.

Enfin, pour la grande majorité des chefs d’entreprise, une société doit être fondée sur le mérite ; mais 20% sont favorables à une société plus égalitaire (vs 13 les 45 ans et plus).

♦ Les jeunes de profil bac +5 et au-delà, plus proches des dirigeants (19% des jeunes interrogées).
57% souhaitent avoir un statut d’indépendant plutôt que salarié
(vs 45 les autres jeunes) ; 45% considèrent que le travail est une source d’épanouissement personnel (vs 34). 40% de ceux qui souhaitent rejoindre une entreprise, recherchent une entreprise dans laquelle s’engager dans la durée (vs 27).). Ils ont également une plus forte tendance à être en faveur de la méritocratie (68% vs 58).

Ils sont plus engagés pour la société : 76% estiment qu’il faut accélérer les gestes individuels et collectifs pour préserver la planète, quitte à faire des concessions sur ses habitudes ou son confort de vie (vs 66). 40% se disent déterminés à agir pour façonner l’avenir (vs 26) ; mais ils sont moins optimistes (17% vs 26). Ils se rapprochent également des dirigeants en étant plus nombreux à vouloir que la technologie traite en priorité les enjeux climatiques, environnementaux et de biodiversité (68% vs 55).

♦ Les jeunes “citoyens du monde” (39% des jeunes répondants)
Ils sont plus engagés sur les enjeux environnementaux et déterminés à agir pour leurs convictions ; en cela, ils se rapprochent des dirigeants concernant le degré d’effort consenti pour atteindre leur société idéale : 57% sont prêts à fournir un effort de huit ou plus sur dix (14 points de plus que le reste des jeunes).

Exigeants avec eux-mêmes pour agir sur la société de demain, ils le sont également avec les entreprises :
72% considèrent que les entreprises doivent s’engager pour répondre aux enjeux sociétaux avant même de développer leur business et l’emploi (vs 57) et plus nombreux à déclarer qu’ils ne pourraient pas travailler dans une entreprise dont les activités iraient à l’encontre de leurs convictions (39% vs 28).

79% souhaitent que la prise de décision en démocratie soit principalement réalisée par les citoyens au travers de consultations et référendums (vs 69) ; pour les problématiques qui concernent l’humanité entière, ils reconnaissent une meilleure gouvernance à une échelle supranationale (79% vs 69).

Contrairement à ce qu’on aurait pu penser, les « citoyens du monde » ne sont pas plus représentés parmi les profils Bac+5 que parmi le reste de la population des 18-25 ans.



Pour en savoir davantage : Dessiner la société de demain : regards croisés des 18-25 ans et des dirigeants de PME-ETI - Bpifrance le Lab, mars 2022

Méthodologie : 4 travaux complémentaires :
– Une 1ére enquête menée auprès de 1 069 dirigeants de PME-ETI,
– Une seconde, réalisée avec Dynata, menée auprès de 502 jeunes de 18-25 ans,
– Un focus groupe de 4 dirigeants de PME-ETI, tout au long de l’étude, pour le cadrage du sujet, la validation du questionnaire et l’analyse des résultats obtenus,
-Des ateliers : 5 ateliers de « design fiction » réalisés avec Futurs Proches, afin de faire émerger des récits communs de l’avenir de l’entreprise entre 9 jeunes et 7 dirigeants, et un atelier avec 6 jeunes pour approfondir certaines réponses étonnantes à l’enquête auprès des 18-25 ans.
Profil des dirigeants interrogés : 87% d’hommes, âges (64% des 45 à 59 ans, 22% 60 ans et plus, 14% moins de 45 ans), 41% fondateurs de leur entreprise, 42% repreneurs (dont 16 successeurs familiaux), 51% actionnaires majoritaires.
Profil des entreprises interrogées : 63% de 10 à 49 salariés, 26% autres tailles de PME (dont 14% de 50 à 99 salariés) et 6% d’ETI, donc pas de TPE, et surtout des petites PME ; 40% sont dans les services, 33% l’industrie, 16% le commerce et le tourisme, 8% le BTP.
Profils des jeunes : 59% de femmes, 62% issus d’études supérieures (dont bac+2, 19%, au-delà 43%), 28% le bac et 11% la CAP au-plus (dont 7% le CAP), plus que l’ensemble de cette classe au niveau national. 50% sont encore étudiants, 37 en emploi et 13 en recherche d’emploi.

 
André Letowski est expert en entrepreneuriat, en petites et très petites entreprises. Il publie une note mensuelle regroupant une sélection brute ou retravaillée et commentée des corpus statistiques français, des enquêtes et publications concernant le domaine des TPE, PE et PME.




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