Fondation d'entreprise
 
 
André Letowski
Etude 
03 jun 2022

Profils d’un entrepreneuriat innovant

Les compétences transversales pèsent beaucoup plus que les traits de personnalité ou que la maitrise du métier pour un entrepreneuriat qui se veut innovant.
Définition des soft skills de l’innovation pour cette étude : “un ensemble dynamique et interrelié de compétences engagées vers le développement de la capacité individuelle et collective de l’humain à se situer, à interagir et à configurer un environnement dans une optique de transformation. Elles sont constituées de processus cognitifs (capacités à diverger, converger, flexibilité mentale, etc.), de facteurs conatifs (motivation, ouverture, extraversion, etc.), émotionnels (empathie) et relationnels (communiquer, collaborer) qui permettent à l’humain d’agir dans un contexte incertain et sur une situation nouvelle.”

⇒ Ces innovants sont d’abord des “facilitateurs”

En majorité, les innovateurs n’acceptent d’être étiquetés comme tels que sous certaines conditions. Le plus souvent, ils s’autodéfinissent plus volontiers à travers les rôles qu’ils jouent comme facilitateurs (ouverture aux autres), pour la résolution de problèmes ou la détection d’idées nouvelles.

Ils savent indiquer sans difficulté quels ingrédients sont nécessaires pour innover, tant en termes de qualités ou de compétences individuelles qu’à l’échelle d’une équipe ou d’un projet. Ils listent la créativité individuelle (jugée qualité nécessaire et non suffisante), la capacité à rassembler une diversité de profils et à organiser une équipe pluridisciplinaire de personnes porteuses à la fois de compétences complémentaires et de certaines qualités humaines (humilité, empathie, curiosité, confiance, enthousiasme, etc.).

⇒ Quelles compétences mettent-ils en avant ?

♦ Ce sont les qualités et compétences de type soft skills, telles que la curiosité, l’ouverture d’esprit, la capacité à travailler en équipe, la persévérance, la créativité et l’empathie. Ainsi les compétences transversales l’emportent quantitativement (65% avec les mots cités tels collaboratif, curiosité, organisation, communication, flexibilité), contre 23 % pour les traits de personnalité (exemple, joueur, passionné, enthousiaste, doute, téméraire) et 12% seulement pour les compétences métiers.

Les compétences transversales prennent une part plus importante dans les réponses des intrapreneurs que dans celles des startupers,
qui mettent plus souvent en avant des qualités relevant du caractère ou de la personnalité des individus (prises de risques importantes, contexte de plus grande incertitude, davantage d’expertise ou d’éléments techniques d’organisation).

♦ Une équipe innovante se doit d’intégrer certains ingrédients, dont la diversité et la complémentarité des profils (en termes culturels, disciplinaires et professionnels), une passion partagée, une énergie commune et une atmosphère de confiance favorable à l’esprit d’équipe.

Dans le cas des intrapreneurs, davantage que pour les startupers, l’équipe doit disposer au moins temporairement d’une autonomie suffisante, d’un degré de sécurité permettant de s’émanciper quelque peu par rapport au cadre d’ensemble de l’entreprise en question.

♦ Par contre, les répondants pointent rarement comme contrainte majeure la question des moyens matériels et financiers nécessaires à l’innovation. La contrainte financière serait même structurante (par exemple lorsqu’il s’agit de postuler à des concours ou des financements externes), voire bénéfique, en tant que stimulant de l’innovation.

⇒ Parcours et motivations des innovateurs

♦ Les interviewés font état de parcours d’excellence dans l’enseignement supérieur, mais pas toujours dans l’enseignement primaire et secondaire, souvent vécu comme ennuyeux. Leur passage fréquent par les grandes écoles où ils ont bénéficié d’un accompagnement à l’employabilité, d’une insertion dans des réseaux influents (associations d’alumni, etc.) et ont été familiarisés avec le travail en mode projet.

De fait, les diplômes prestigieux constituent un marqueur social qui confère à la fois une force symbolique et une forme de sécurité, facilitant par la suite, un plus grand degré de prise de risque sur le plan professionnel.

♦ Autre constat, ces personnes ont fréquemment pratiqué, durant leurs années d’enfance et d’adolescence, des « activités secondaires » qu’elles jugent importantes dans divers domaines (arts, sport, expression corporelle, cuisine, etc.) ; elles ont été pourvoyeuses de capital culturel et de ressources (rapport volontaire à la contrainte ou à l’effort, apprentissage à la structuration du temps, apprentissage de codes et de langages, forte sensibilisation à une culture du résultat).

♦ Ils semblent aussi caractérisés par leur besoin de se distinguer socialement. Ils s’engagent dans des rôles et des contextes en partie atypiques, parfois en tension avec l’organisation professionnelle et le monde social.

⇒ Les aspirations des innovateurs dans 4 domaines principaux

– Leur besoin de faire de la nouveauté et du changement un axe central de leur activité.

– Ils aiment fondamentalement la découverte, le fait d’apprendre par leur travail, notamment à l’occasion de rencontres ; ils sont à la recherche de structures et de postes où la part d’apprentissage occupe une place majeure, et où le processus d’innovation se nourrit des idées apportées par les différentes parties prenantes.

– Ils sont conscients de porter une forte responsabilité managériale, notamment pour créer une atmosphère propice à l’innovation ; ils s’efforcent de pratiquer un management par les compétences, en mettant à distance les effets des structures d’autorité, en se gardant d’attacher trop d’importance aux processus, et en acceptant l’échec comme composante des mécanismes d’apprentissage et de transformation par l’innovation.

– Il n’est pas rare que leur ambition revendiquée soit de contribuer au progrès sociétal.

⇒ Autre niveau : celui des compétences de l’organisation

Leurs compétences interfèrent avec leur environnement de travail plus ou moins propice aux activités de transformation.

⇒ Comparés aux entrepreneurs classiques

♦ Les intrapreneurs présentent certaines soft skills significativement plus fortes que les managers classiques : des moyennes notablement plus élevées quant à la capacité à diverger et à converger, la pensée intuitive, l’ouverture à la nouveauté et la tolérance à l’ambiguïté (déterminantes pour innover) ; ces capacités permettent aux intrapreneurs de trouver de nouvelles solutions dans un environnement incertain en transformation.

L’intuition fournit de nouvelles informations que l’intrapreneur traitera ensuite à travers les étapes de la pensée rationnelle. L’usage alterné de pensée intuitive et de pensée rationnelle est accepté plus aisément par les innovateurs, grâce à une plus grande tolérance à l’ambiguïté.

♦ Quant aux compétences émotionnelles des intrapreneurs, c’est leur niveau d’empathie affective qui est significativement plus fort ; elle nourrit les capacités liées à d’autres compétences, comme la compétence de communication (l’empathie contribue à nourrir l’écoute et la forme de l’émission, dans une situation de communication) ou la compétence de créativité (l’empathie contribue à saisir de façon sensible les besoins des autres).

France Stratégie propose ensuite un ensemble de recommandations.

Pour en savoir davantage : Les soft skills pour innover et transformer les organisations | France Stratégie, document de travail N°2022-02, mai 2022

Méthodologie : l’étude s’appuie sur un travail qualitatif et quantitatif mené en France entre 2015 et 2020, croisant les apports de la recherche en psychologie, en management et en sociologie. Elle est menée auprès des personnes considérées comme des « innovateurs” : deux catégories ont été retenues, les intrapreneurs et les strartupers. 3 temps :

– Une étude qualitative : 93 intrapreneurs et les 33 startupers ont été interrogés dans le cadre d’entretiens semi-directifs pour distinguer les signes permettant d’identifier les attitudes et compétences des innovateurs, ainsi que les caractéristiques perçues de leurs environnements de travail (facteurs favorables, freins, etc.).

– Sur la base de ces entretiens et de la littérature académique, un outil dédié à la mesure des compétences transversales de l’innovation et des environnements de travail a été élaboré.

– À partir de cet outil, une enquête quantitative a été réalisée en ligne auprès de 269 d’intrapreneurs, startupers et managers

 
André Letowski est expert en entrepreneuriat, en petites et très petites entreprises. Il publie une note mensuelle regroupant une sélection brute ou retravaillée et commentée des corpus statistiques français, des enquêtes et publications concernant le domaine des TPE, PE et PME.




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