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André Letowski
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14 déc 2022

Baisse des délocalisations d’entreprises à partir de 2011

Les délocalisations ont diminué avec la crise financière, puis après 2011 du fait de l’amélioration des conditions de production en France.
Paradoxalement, les délocalisations ont beaucoup progressé entre 1995 et 2017, alors que les investissements étaient nombreux et les échanges internationaux en nette hausse.

Si les délocalisations ont certainement joué un rôle dans la désindustrialisation, leur dynamique ne saurait être le seul facteur explicatif de la baisse de l’emploi industriel constatée jusqu’en 2017. De nombreux autres facteurs économiques ont pu contribuer à cette baisse : les gains de productivité, la tendance à l’externalisation des services, la « servicisation » croissante des entreprises industrielles (déformation de la valeur ajoutée produite par les entreprises industrielles au profit d’activités de service, notamment les activités numériques).

Sur la période 1995-2017, chaque année en moyenne, environ un millier d’unités légales auraient délocalisé, soit en fermant un de leurs sites de production pour lui préférer une production étrangère, soit en substituant une production étrangère à un sous-traitant domestique. Parmi ces entreprises, les 3/4 sont des PME.

Le nombre moyen annuel d’opérations de délocalisation aurait baissé sur la décennie passée, passant de 1 100 sur la période 1995-2008, à 720 sur la période 2011-2017 (-35%) et le nombre des emplois concernés aurait été divisé par 2.

3 périodes peuvent être distinguées :

Avant la crise de 2009, les délocalisations étaient caractérisées par un niveau élevé, dans un contexte d’accès au crédit relativement favorable, avec 1 100 entreprises chaque année, estimés à 32 000 emplois délocalisés par an sur la période 2001-2008. Les entreprises concernées sont, pour 70% industrielles.

Noter que les deux pics de délocalisations en 1998-2000 et 2006-2008 coïncident avec des augmentations du taux d’investissement et des hausses des encours de crédit à l’investissement, dans un contexte de libéralisation des échanges et de diversification des partenaires commerciaux (Chine, l’Asie orientale), avec une hausse du flux d’importations spécifiques liées aux délocalisations; si l’Europe reste le continent majoritaire de destination des délocalisations, sa part baisse, passant de 70% en 1995 à moins de 50% en 2008.

Inversement, la baisse du nombre de délocalisations estimées en 2002 correspond à un net ralentissement à la fois du crédit à l’investissement et de la trésorerie. Cette corrélation suggère qu’une partie des investissements était réalisée à l’étranger.

♦ En 2009-2011, une forte baisse des délocalisations en lien avec la crise financière et la récession. Le volume de délocalisations se contracte avec l’activité et l’investissement, dans un contexte marqué par la contraction des conditions financières, le net ralentissement des crédits à l’investissement, ainsi qu’une dégradation des perspectives de croissance à long terme.

♦ 2011-2017 : une baisse tendancielle du nombre d’emplois délocalisés
En moyenne 720 entreprises délocalisent chaque année, pour 14 000 emplois annuels délocalisés, deux fois moindre qu’avant la crise financière. La part des entreprises industrielles est d’un peu plus de 70%.

Cette période se caractérise par une moindre corrélation entre délocalisations et activité, tandis que le taux d’investissement repart à la hausse. Plusieurs éléments peuvent avoir contribué à cette baisse :
  • le moindre dynamisme des crédits à l’investissement, notamment sur la première partie de la dernière décennie, dans un contexte de conditions monétaires et financières toujours resserrées,
  • l’amélioration des conditions de production à partir de 2010 en lien notamment avec le redressement de la compétitivité-prix, du fait d’une progression des salaires assez lente et de la mise en place de politiques publiques de soutien à la compétitivité-prix (CICE). La réduction des coûts étant citée comme le premier motif de délocalisation par les entreprises concernées, cet environnement plus favorable à la compétitivité a sans doute joué en faveur d’une réduction des incitations à la délocalisation.
Les destinations géographiques des délocalisations se déplacent : la Chine et le reste de l’Asie orientale voient leur poids relatif reculer, tandis que celui de l’Europe progresse jusqu’en 2015, où elle représente plus des deux tiers des flux d’importations associés aux délocalisations en valeur. Le Moyen-Orient, ainsi que l’Asie du Sud et du Sud-Est voient leur part augmenter jusqu’à représenter 23% des délocalisations en valeur en 2017.

Pour en savoir davantage :
Baisse des délocalisations sur la période 1995-2017 | DGE, les Thémas N°6, décembre 2022

Méthodologie : les délocalisations sont estimées à l’aide de l’enquête Chaînes d’activité mondiales («CAM»), conjointement à la mobilisation d’outils d’intelligence artificielle (machine learning). l’Insee a interrogé un échantillon d’entreprises (de plus de 50 salariés) sur leurs éventuelles délocalisations entre 2009 et 2011. Cette détection prend la forme d’une probabilité estimée de délocalisation. Les variables explicatives (évolution de l’emploi, des importations, des investissements, etc.) sont connues chaque année pour chaque entreprise. Une fois que les modèles ont été calibrés et entraînés sur l’échantillon CAM, ils peuvent être appliqués à l’ensemble des entreprises pour chaque année de la période considérée (1995-2017, selon 3 scénarios).
 
André Letowski est expert en entrepreneuriat, en petites et très petites entreprises. Il publie une note mensuelle regroupant une sélection brute ou retravaillée et commentée des corpus statistiques français, des enquêtes et publications concernant le domaine des TPE, PE et PME.




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