Pouvez-vous revenir sur votre parcours et ce qui vous a conduit à créer l’Institut des Futurs souhaitables ?
Je suis historien. Pendant des années, j’ai étudié ce que les humains avaient fait, avant de me tourner vers ce qu’ils pourraient faire. Historien et prospectiviste c’est un peu le même métier, sauf qu’on ne regarde pas du même côté. Dans les deux cas on raconte des histoires. Et les histoires sont puissantes, elles transforment des civilisations.Au moment de mes études à la Sorbonne, j’ai cherché à comprendre quelle était « ma » révolution. J’ai découvert le développement durable et la prospective. L’un offrait une philosophie pour repenser notre rapport au vivant, l’autre une méthode pour explorer les futurs possibles. J’ai eu envie de les marier. C’est ainsi qu’est née l’idée de la « prospective des souhaitables ».
Comment définiriez-vous l’Institut aujourd’hui ?
C’est un lieu atypique que j’aime appeler « un asile pour réinventeurs de monde ». Pendant longtemps, ceux qui faisaient des pas de côté étaient vus comme des marginaux. Chez nous, ils deviennent des exploratrices et des explorateurs.Notre rôle est d’offrir une boussole à des dirigeants parfois déboussolés. Une boussole un peu particulière, à la façon de celle de Jack Sparrow : elle donne un cap au moment où l’on sait ce que l’on cherche. Nous aidons les participants à prendre le temps de comprendre le temps, pour ensuite agir en conscience.
Depuis 15 ans, plus de 2 200 personnes ont suivi nos LabSessions, des voyages de 6 mois dans le futur. Et depuis 3 ans, nous avons ouvert une université populaire des souhaitables pour diffuser librement nos contenus : Epop&.
Quels moments ont marqué votre parcours avec l’Institut ?
Il y en a beaucoup. Le premier, c’est en 2012 lors d’un TEDx à l’Olympia. J’y ai parlé des « conspirateurs positifs », ces personnes qui respirent ensemble pour inventer un futur différent. À la fin, les 1 500 spectateurs se sont levés d’un même élan. Ce jour-là, j’ai compris que je n’étais plus seul dans ma tête.Un autre moment fort a été en 2014, lorsque nous avons réuni 60 experts à Delphes, lieu sacré de la Grèce antique. Pendant quatre jours, nous avons parlé au passé de ce qui s’était produit entre 2014 et 2040. Cette expérience a révélé la force des convergences : nous ne sommes pas des individus isolés, mais une intelligence collective en mouvement.
Quels sont, selon vous, les grands défis que les entreprises devront relever d’ici 2030 ?
Il y en a plusieurs. Le premier, c’est l’introspection : comprendre ce que l’on fait, pourquoi on le fait et à quoi cela contribue. Le deuxième, c’est la lucidité : ralentir pour prendre de la hauteur, car la vitesse du monde ne doit pas nous empêcher de penser. Le troisième, c’est la solidarité : longtemps jugés ringards, les modèles mutualistes retrouvent aujourd’hui une pertinence incroyable. Dans les périodes de rareté, c’est la coopération qui permet de traverser les crises.À mes yeux, nous n’avons pas un problème de solutions, mais un problème d’horizon. Plus tôt les entreprises clarifieront leur cap, plus elles pourront bifurquer et expérimenter.
À quoi ressemblera l’entreprise de demain ?
L’entreprise de demain portera une responsabilité fractale : envers elle-même, ses collaborateurs, la société et la planète. Sa finalité ne sera pas seulement financière : elle s’inscrira dans une aventure plus vaste qui la dépasse.Elle sera aussi un havre d’expérimentation. Comme le disait Danton pendant la Révolution : « De l’audace, encore de l’audace, toujours de l’audace ». Aujourd’hui, j’ajouterais : expérimentons, expérimentons, expérimentons encore.
Enfin, elle contribuera à une économie régénérative, collaborative, en symbiose avec le vivant. Tant qu’un arbre mort vaudra plus qu’un arbre vivant, nous aurons du chemin à parcourir.
Qu’est-ce qui vous rapproche de la Fondation MMA des Entrepreneurs du Futur ?
Les valeurs mutualistes résonnent profondément avec mes convictions. La solidarité, la coopération et l’intérêt commun sont au cœur de ce que nous portons à l’IFs.En 2009, c’est sur un coin de table d’un bar de Montmartre que nous avions en commun, que j’ai aidé Jacques Huybrecht à rédiger le premier manifeste des Entrepreneurs d’Avenir. Le concept de Futurs souhaitables y était déjà présent pour imaginer l’avenir du grand mouvement que vous êtes devenu.
Et puis Je crois beaucoup aux synchronicités. Depuis deux ans, je croise régulièrement Sylvie Bonello, déléguée générale de la Fondation, lors d’événements. Ces rencontres sont comme des signes, ce que les Grecs appelaient le kaïros, le moment juste. Il faut savoir les saisir.
Quel message souhaitez-vous adresser aux dirigeants qui liront cette interview ?
Que les temps sont durs et incertains, mais qu’ils ouvrent aussi des possibles. Que nous d’autres choix que de traverser l’époque. Par contre nous avons le choix de l’énergie avec laquelle nous la traversons. Oui, un futur sombre est possible, surtout si nous ne faisons rien. Mais oui, des futurs souhaitables le sont aussi, surtout si nous les construisons ensemble.Alors, je les invite à rejoindre cette aventure collective : peut-être l’épopée de notre temps.