Lama bouddhiste et spécialiste en neurosciences, Hermès Garanger prouve qu'entreprendre est avant tout une aventure émotionnelle qui se pilote avec le nerf vague.
Hermès, pouvez-vous nous raconter votre parcours ?
J’ai grandi dans un environnement très atypique, entre spiritualité et engagement. Après vingt ans dans un monastère bouddhiste tibétain et une retraite intense de méditation – près de 30 000 heures –, j’ai voulu comprendre scientifiquement ce que j’avais expérimenté. J’ai repris des études et obtenu un master en neurosciences appliquées. Aujourd’hui, je combine ces deux univers pour accompagner dirigeants et organisations sur la régulation émotionnelle et la prise de décision.
Vous avez évoqué la théorie polyvagale. De quoi s’agit-il ?
C’est une découverte récente en neurosciences qui explique comment notre système nerveux autonome régule nos états émotionnels. Le nerf vague nous fait passer par trois états :
- Ventral : calme, ouverture, joie, motivation.
- Sympathique : stress, colère, agitation.
- Dorsal : figement, abattement, mode survie.
Nous basculons entre ces états chaque jour, souvent sans en avoir conscience. Comprendre cela, c’est apprendre à mieux gérer nos réactions face à tous types de situation.
Comment cette théorie s’applique-t-elle à la transmission d’entreprise ?
La transmission est une étape à forte charge émotionnelle. Le cédant peut se sentir en dorsal (abattu, échec), le repreneur en sympathique (stress, pression). Idéalement, il faut tendre vers le ventral, car c’est l’état dans lequel on est le plus apte à transmettre, ouvert, créatif, capable de coopération. D’où l’importance de reconnaître son état et de mettre en place des pratiques pour revenir au ventral si on ne l’est pas dans ce moment crucial qu’est la transmission d’entreprise.
Quels signaux corporels permettent de savoir dans quel état on est ?
Le corps ne ment pas :
- Ventral : respiration fluide, énergie stable, enthousiasme.
- Sympathique : cœur qui s’accélère, boule au ventre, tension musculaire.
- Dorsal : fatigue extrême, sensation de vide, perte d’élan.
Ces signaux sont des indicateurs précieux pour décider quand agir… ou attendre.
« Écouter son corps pour mieux orienter son entreprise. »
Comment aider un cédant à passer du dorsal au ventral ?
D’abord, prendre conscience de son état actuel. Ensuite, introduire des activités qui nous apportent de la joie, de la légèreté, de l’énergie comme par exemple le sport, le lien social, des moments culturels, être avec ses proches, la nature... Il faut éviter de négocier ou de transmettre quand on est épuisé ou figé. Parfois, attendre quelques semaines pour rééquilibrer notre système nerveux est la meilleure décision.
Et pour le repreneur ?
Même logique : reconnaître ses émotions, éviter de rester en mode « combat-fuite » permanent. La reprise est exigeante, mais elle doit se faire dans un état qui permet la lucidité, la transmission, le partage, la curiosité, la créativité. La méditation, la respiration, le sport sont des alliés puissants.
Un conseil pour construire la confiance entre cédant et repreneur ?
La confiance naît quand chacun est capable d’écouter et de se mettre en posture ventrale. Si les deux restent en mode sympathique (stress) ou dorsal (figement), la relation se tend. Parfois, il faut un tiers pour faciliter ce passage.
Et après la cession ? Comment gérer le « deuil entrepreneurial » ?
C’est une vraie transition identitaire. Il faut accepter de changer de rôle, de statut, et surtout rebondir pour se réinventer. Le danger, c’est de rester figé en dorsal. Après une cession, le levier, c’est de retrouver du sens ailleurs : projets, engagements, passions. Le corps a besoin de mouvement et l’esprit d’engagement pour se sentir utile !