La vie est pavée de goûts et de dégoûts. Nous en faisons l’expérience précoce au fond des ténèbres utérines où nous découvrons le Monde du dehors, celui dont notre mère se nourrit. Nourritures terrestres mais aussi rêves, fantasmes et émotions. Et puis, dans notre vie aérienne, nous goûtons, à la première heure, l’air qui nous entoure, les odeurs, le lait. Bien d’autres choses indescriptibles, un climat, une ambiance, l’air de rien. Nous prenons de l’âge, du poids, de l’expérience. Nos goûts se diversifient, se développent, se multiplient, s’enrichissent. Cuisines du monde ou plats de terroir, notre vie est une table. Et nous cuisinons tous à notre façon, unique et singulière nos expériences du jour. Les recettes de vie que nos parents nous transmettent, nous devons les transformer, les faire nôtres, pour goûter le monde à notre façon. La vie est une longue traversée gustative. Brillat-Savarin, défaillant sur son lit de mort, répondait à celui qui lui posait la question de son ressenti : « Juste un goût de goût à rien ».
La vie est rendue appétissante par l’Autre et l’enfance est une mise en bouche. Le goût est le seul des cinq sens dont nous puissions jouir en compagnie. C’est la seule fonction physiologique accomplie en public, à la différence du sommeil, de la reproduction…C’est donc le sens social par excellence. Le mangeur occidental moderne a changé d’inquiétude : c'est la pléthore, et non plus le manque, qui menace sa santé et sa vie. C'est l'excès, au lieu de la privation, qui fait souffrir de plus en plus de mangeurs. Aujourd'hui, la crainte est de manger trop, trop riche et, surtout, de ne plus pouvoir s'arrêter.
Nos racines biologiques plongent désormais dans une chaîne alimentaire qu’elles ne reconnaissent plus, et nos gènes n’y rencontrent plus les nutriments qui les ont exprimés pendant des centaines de milliers d’années. Il ne s'agit plus de choisir son camp entre l'inné ou l'acquis puisqu'aucun des deux ne peut fonctionner sans l'autre. Notre « instinct » ne suffit plus, aujourd’hui, pour nous indiquer quoi manger, ni en quelle quantité. Cet instinct est dérégulé par des signaux dont notre environnement social est saturé. Nous vivons en effet une époque éprouvante où règnent l’insécurité et l’inquiétude, la peur et parfois la terreur et toutes sortes de tyrannies :
Tyrannie de l’urgence qui nous condamne plus à nous remplir qu’à nous nourrir. Trop de choses que nous ne choisissons pas et qui nous pénètrent. Nous sommes dans un monde fondé sur la dévoration par les images et les discours sociaux qui nous grignotent petit à petit. Qui chantera l’errance métaphysique du caddie bourré de nourritures dans la solitude infinie des espaces marchands ?
Tyrannie du choix, tant les sollicitations pour la nourriture sont omniprésentes à travers la publicité avec des informations nutritionnelles de plus en plus complexes et volontiers culpabilisantes. Si trop de choix tue le choix, force est de reconnaître que faire ses courses et décider d’un repas a un coût cognitif et émotionnel important, que chacun tente de réduire par des raccourcis de jugement avec le risque de conduire à des décisions invalides et préjudiciables.
Tyrannie des peurs alimentaires, et elles sont nombreuses : si la peur du manque reste la triste vérité pour près d’un milliard d’habitants, dans nos pays industrialisés, c’est la peur de grossir, la peur de l’excès, la peur de l’empoisonnement ou celle du regard de l’autre qui dominent. Que sera votre menu ce soir ? Saumon aux pesticides avec un peu de mercure et une pincée de cadmium ? porc et poulet aux antibiotiques ou à la dioxine ?fruits et légumes toxiques ? organismes génétiquement modifiés ?
Comme le suggère Pierre Weill, Fondateur de la filière Bleu Blanc Cœur : « Il ne pourra pourtant pas y avoir d’harmonie dans nos corps si nous n’avons plus d’harmonie dans les sols et dans les auges. » La santé est fille de la diversité. Et si Hippocrate avait raison… près de 400 ans avant notre ère, quand il proposait un regard iconoclaste sur l'alimentation dans le système de santé : « que l'aliment soit ton premier médicament ». Cette maxime, bien que sans cesse ressassée, fut loin d'être respectée au point que certains se demandent aujourd'hui si les médicaments ne sont pas nos premiers aliments.
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Gérard Ostermann
Santé
13 jul 2018
Une nutrition pour être en forme ! 2/2
Avec les mets passent les mots. Ce que les sons ne peuvent dire, la nourriture l’articule. Manger, disait Brillat-Savarin, grand gastronome devant l’éternel, « Manger, c’est parler avec les autres ».
Gérard Ostermann est professeur de thérapeutique, médecin interniste et psychothérapeute-analyste. Il est diplômé de thérapie cognitivo-comportementale, praticien EMDR et membre de l'A.P.N.E.T (Association pédagogique nationale pour l'enseignement de la thérapeutique). Il est également chargé d'enseignement à Bordeaux 2. Il est le fondateur et président du Collège Régional de la société Française d'Alcoologie et Président de l'institut des conduites alimentaires de Bordeaux.
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