Fondation d'entreprise
 

M.A.P 

 « Sur 400 candidats au grand prix 2016 des Bonnes Nouvelles du Territoire, je suis le seul ultramarin rescapé », se réjouit déjà Tanchiki Maore ! Positif par nature, c'est notamment parce qu'il a su transmettre sa passion pour Mayotte que ce jeune entrepreneur a roulé sa bosse jusqu'ici. À sa bandoulière : des camions rose bonbon et autres matériels dédiés à l'assainissement et la propreté de l'île, deux limousines faisant prendre des chemins de traverse aux utilitaires touristiques, un hôtel sauvé de la banqueroute et appelé à voisiner avec des bungalows écolos ou encore, bientôt aussi, une alternative maritime aux trajets routiers encombrés. Dans les filets de ce développement local : la préservation de cette carte postale, pour en faire connaître ses couleurs, sans la dénaturer. Entre égouts et infrastructures, l'entreprise est bien loin du greenwashing... Paré à un décollage durable ? 

Mayotte, son île aux trésors



Envolez-vous à 10 000 kilomètres de Paris, jusqu'à l'archipel des Comores. Ancré entre la géante Afrique et la grande Madagascar, le 101e département français depuis 2011 demeure discret, nonobstant son rattachement national, puis européen en 2014 en tant que région ultrapériphérique (RUP). Avec sa double barrière de corail encerclant 1 550 km2 d'eau turquoise, le lagon mahorais est pourtant l'un des plus grands du monde et se révèle un site exceptionnel : à observer toute l'année, les tortues y pondent en mai et juin ; de juillet à octobre, les baleines viennent y mettre au monde et allaiter leurs petits ; outre ces grands mammifères marins, raies, requins et dauphins globicéphales y fraient allègrement à l'aplomb de vallées sous–marines de 60 à 80 mètres. Quittez le Jardin japonais et autres récifs coralliens ; au-delà de la passe qui permet l'accès aux navires, barracudas et grands gorgones entrent dans la danse. Un bord vers la mangrove, qui joue le rôle de filtre naturel, et vous découvrirez une pouponnière à carangues, mérous et crevettes, qui viennent y pondre aux abris. Plus loin, un lac émeraude vous rappellera que Mayotte est née de l'explosion de deux volcans. Partez à l'assaut du mont Choungi et admirez le camaïeu de vert depuis le sommet. En chemin vers une plage de sable blanc, cueillez bananes, mangues et coco, dans des effluves d'orangers, d'ylang-ylang et de vanille... « J'ai redécouvert mon île natale après dix ans d'absence », partage Tanchiki Maore. « Dans le milieu de l'environnement, j'ai vu que ce paradis avait 50 ans de retard par rapport à la métropole, 30 ans si l'on compare avec la Réunion ; la remontée des eaux usées étaient notamment nuisible au lagon. De crainte que ces beautés naturelles se dégradent, j'ai profité de l'obligation nationale d'assainissement, qui n'avait aucune raison de faire exception à Mayotte, pour créer ma première société en novembre 2009. »


L'environnement en rose

Dans cette île en développement, le jeune entrepreneur ne peut guère compter sur un business angel ! Encore moins pour une société spécialisée dans la vidange des fosses septiques et le curage des réseaux (eaux pluviales comme eaux usées), bien qu'une étude de marché ait confirmé son potentiel : une moitié de l'île, seulement, est raccordée au tout à l'égout. Déterminé, il retourne en métropole pour se former à cette activité, puis sort de sa poche ce qu'il peut de fonds propres : soit ses économies de quatre ans de travail en qualité de soudeur contrôleur, aux chantiers navals de Lorient, Brest et Saint-Nazaire. « Contre 48 000 euros, j'ai acheté mon premier camion à la ville d'Évreux ; avec trente ans d'utilisation, il était tellement vieux qu'il était classé véhicule de collection. Puis j'ai embauché mon premier salarié, un chauffeur, pendant que j'étais gérant manutentionnaire de Maore Assainissement Propreté (M.A.P) » Pour que ses compatriotes s'intéressent aux dégâts écologiques, il peint son camion benne en rose : bingo, les habitants se montrent curieux et prennent conscience des problèmes environnementaux de leur quotidien. D'occasion toujours, il investit dans un deuxième camion hydrocureur en 2010, créant deux emplois supplémentaires. Parce que cette activité est plus ordurière que glamour, il adopte le rose bonbon en signature de sa marque: « Ensemble pour un environnement rose ».

Et ça roule ! Ordures ménagères, déchets industriels ou gestion de l'assainissement jusque dans les stations d'épuration, sa petite entreprise est en contrat avec le syndicat des eaux et les communes. En plus de cinq châssis véhiculant citerne à eau et pompe à haute pression, sa flotte s'agrandit de trois camions de collecte des ordures ménagères et quatre autres à bras articulé pour la location de bennes chez les clients. À la faveur du dispositif « emploi d'avenir », il forme puis recrute deux chauffeurs et deux mécaniciens poids lourds. Quant à parer aux situations d'urgence, il acquiert deux voitures pour le personnel d'astreinte afin de limiter les éventuels débordements d'eaux usées dans les hôpitaux et autres lieux critiques. Face à la demande des clients, il crée une deuxième société en 2012. Pour les chantiers comme pour les événements publics, Maoré Intervention Propreté (M.I.P) est capable de mettre à disposition 22 toilettes chimiques, pendant que ses pelles de toutes tailles concourent à la propreté des caniveaux ; lesquels peuvent ensuite être dûment désinsectisés, ce qui enraye Chikungunya, dengue et autres maladies proliférant avec les moustiques. En 2014, Mayotte Inspection propose un repérage caméra du terrain avant travaux d'assainissement : optimisée, la solution est plus économique pour le client et payante pour l'emploi local, quatre créations de postes à la clef.


MAP-L


Il n'y a pas de sot métier

À son retour de métropole, son père était presque honteux. « Vider le caca des autres, ce n'était pas ce dont il avait rêvé pour son fils », sourit Tanchiki Maore. Six mois après, il l'avait non seulement convaincu, mais aussi fait ses preuves auprès du concours Jeunes Talents, en étant son lauréat régional dès 2010. Trois ans plus tard, c'est au niveau national qu'il décrochait le prix Talent Développement, décerné par la direction générale des entreprises, via son réseau d'accompagnement aux porteurs de projets BGE. Justifiant une partie de son succès par ces aides, le battant n'a pas hésité à participer à la première semaine des Très Petites Entreprises, au printemps dernier. « On ne peut pas avancer en solo ; il faut être plusieurs, s'entraider. Car ici, à Mayotte, c'est difficile de se lancer. » D'où le cri d'alarme lancé par les organisateurs, alors que le BGE et autres structures accompagnatrices sont mises en péril par les coupes budgétaires. Pionnières et innovantes, les TPE sont la première économie îlienne ; elles y représentent 80% des entreprises et emploient quelque 5 000 personnes, soit un quart des salariés. Sacré enjeu quand la population mahoraise est jeune et croît à toute vitesse, comptant déjà 50% de moins de 20 ans parmi les quelque 227 000 habitants.

Sur tous les fronts, Tanchiki Maore s'emploie à redonner espoir. Toujours avec la BGE, il intervient dans les collèges pour sensibiliser les élèves à la protection de l'environnement. Se sentant également redevable à la rue, d'où il affirme venir, il organise des kermesses pour les jeunes pendant les vacances, entre des soirées festives sécurisées par les jeunes du village. « L'insécurité enfonce le clou du sous-développement des structures », précise-t-il d'expérience. Autre illustration de sa volonté à faire changer les choses, les bénéfices de ces événements, avec par exemple l'humoriste ivoirien Michel Gohou en tête d'affiche, sont reversés aux associations de son village Kongou. Quant aux associations qui se battent pour l'environnement, elles disposent gracieusement des investissements matériels de MAP, avec la participation des communes pour transporter les déchets jusqu'à l'exutoire aux normes ; gants, tee-shirts, balais sont également fournis pour voir l'environnement en rose.
 

Le tourisme, nouvelle vague entrepreneuriale

Enfin, depuis 2014, Tanchiki Maore a pris le virage du tourisme, d'abord en créant Maore Bling Bling ; sa quinzaine de voitures de location, complétées bientôt de deux voitures de luxe, requiert déjà trois salariés et bientôt deux de plus. Pour sauver 32 emplois, dans son village natal, il a par ailleurs acquis en 2015 un hôtel en déliquescence, en améliorant le site, sécurité comprise. Alors que les clients reviennent, il souhaite aujourd'hui rajeunir les bungalows, puis en construire une vingtaine d'autres, en matériaux naturels et en autonomie énergétique : ce qui ouvre la porte à 15 emplois supplémentaires, moyennant un emprunt bancaire de 500 000 euros qui grossira ses traites... Pont flottant, navette maritime expresse jusqu'à l'hôtel, fret maritime, les projets ne manquent pas, dont ce challenge d'ici 2018, baptisé “Mayotte : le salut par la mer. “ « Nous avons tout pour réussir sur cette île ; nous devons y croire », s'engage cet indéfectible fonceur. « Entrepreneurs et élus, c'est à nous de donner espoir à l'économie. »  Aide-toi et le ciel t'aidera : une leçon à l'autre bout du monde français.


Plus d'infos :

✉ 17 rue Vallée III – ZI Longoni Koungou – 97690




Belle histoire de primé racontée par Anne Laure Murier pour le compte de la Fondation MMA des Entrepreneurs du Futur