Fondation d'entreprise
 

Voisin Malin 

 Passe à ton voisin - comme l'entonnait une réclame -, c'est l'idée maligne qu'a déployée Anne Charpy pour recréer une dynamique dans les quartiers populaires en mobilisant leurs ressources humaines. Baptisée VoisinMalin, avec une agilité aussi sémantique que pragmatique, son entreprise sociale fait émerger un réseau d'habitants charismatiques, déjà sur pied dans une douzaine de communes. Salariés et formés pour établir un dialogue avec leurs pairs, ils vont à leur contact, en porte-à-porte essentiellement. À la clef de cette écoute personnalisée, des informations d'intérêt général pour améliorer leur quotidien et développer leur participation citoyenne. Fort de son impact social depuis 2011, cet « empowerment » veut décupler sa valeur ajoutée, en s'étendant à 20% des habitants des quartiers prioritaires d'ici 2019. Un état d'urgence, qui ne fait pas débat, lui.

 
« Bonsoir, nous sommes l'association VoisinMalin », s'annonce Hélène à l'interphone de la copropriété du Parc du Petit Bourg, à Évry dans l'Essonne. Un étage après l'autre, jusqu'au douzième et dernier, les portes s'ouvrent volontiers à cette jeune maman du quartier, messagère d'informations utiles et pratiques. « Vous pouvez boire l'eau du robinet. Elle est très contrôlée. Ça vous coûtera moins cher que de l'eau en bouteille ». Pour nombre des cinq cents ménages modestes habitant la résidence, c'est une révélation. Un levier pour endiguer les charges ? L'information passe ! En cascade, la sensibilisation au tri sélectif trouve un écho quelques mois plus tard. Double gageure, alors que les difficultés financières des propriétaires ont détérioré ce cadre de vie datant des années 60 et généré des contextes conflictuels ; par ailleurs, qu'ils soient occupants ou bien locataires, les habitants de ces trois barres d'immeuble ont, d'expérience ou a priori, développé une méfiance vis-à-vis de la ville....

C'est pourtant elle qui a fait appel à l'association, dans le cadre d'une opération programmée d'amélioration de l'habitat (OPAH) : un dispositif qui nécessite un temps d'appropriation et de compréhension par ses bénéficiaires. Insistant sur leur neutralité et leur indépendance, par rapport à la municipalité et au bailleur, VoisinMalin a relayé les lourds travaux de rénovation programmés, expliquant au passage le fonctionnement d'une copropriété, y compris auprès de ses locataires. Comme ses quatre comparses embauchés en CDI et rémunérés 10 euros nets de l'heure, Hélène, par ailleurs modéliste pour des grands couturiers à Paris, consacre 8 heures par mois à cette mission de proximité. D'origine turque, elle peut s'adresser aux représentants de cette communauté dans la langue qu'ils partagent, pendant que son équipe réunit d'autres capacités de traduction en anglais, ourdou, diola, voire lingala. De quoi se faire davantage écouter.
 

Un ancrage territorial

Cet effet miroir joue à plein dans les communes voisines de Courcouronnes, Grigny et Ris-Orangis. Aulnay-sous-Bois, Montreuil et bientôt Saint-Denis, en Seine-Saint-Denis ; Villiers-le-Bel, dans le Val d'Oise ; le 19e arrondissement, à Paris : l'Île-de-France est la mieux lotie, pour le moment. Parce que les besoins sont criants dans d'autres départements, VoisinMalin s'est aussi implantée dans le Nord, à Lille Sud, et s'apprête à mailler deux autres grandes villes françaises, Lyon et Marseille. Le point commun de ces territoires ? Ils comptent parmi les 1300 quartiers dits prioritaires dans le cadre de la politique de la ville. Regroupant la majeure partie des grands ensembles d'habitat social, ils totalisent près de cinq millions d'habitants, acculés à un taux de chômage élevé, à un échec scolaire important, quand ce n'est à l'insécurité. À quoi s'ajoutent, en particulier pour les personnes de nationalité étrangère, des difficultés de maîtrise de la langue française ou encore des situations familiales compliquées. Ces contextes d'exclusion et de non-droit se traduisent par un sentiment de relégation.

« En valorisant les compétences de leurs habitants et en développant leur capacité d'agir, nous avons la conviction qu'il est possible d'insuffler une dynamique nouvelle dans les quartiers populaires », affirme Anne Charpy, créatrice et directrice de l'association. « VoisinMalin accompagne ce changement via son réseau d'habitants leaders, qui déploient leur charisme en porte-à-porte essentiellement.  Par ce contact privilégié, les habitants de leurs quartiers s'approprient peu à peu les clefs de leur vie quotidienne, tout en regagnant une certaine confiance dans les institutions et les administrations. Celles-ci, à leur tour, vont modifier leur regard. » Cette spirale vertueuse se décline sur plusieurs thématiques, de l'habitat à la santé, du cadre de vie à l'éducation, jusqu'à l'accès aux droits et à un mode d'emploi des services publics. Construites avec des collectivités, des bailleurs sociaux ou encore des entreprises, plus de 55 missions d'intérêt général ont été mises en œuvre par les Voisins Malins, sur pied depuis 2011. 
 

VoisinMalin-L 

Une entreprise sociale d'utilité publique

« C'est une idée qui a mûri pendant vingt ans », sourit son initiatrice, en revenant sur son passé. Toute juste diplômée de l'ESCP, Anne Charpy s'envole pour le Chili, où elle travaille trois ans dans le micro-crédit. « J'accompagnais des femmes et leurs projets de micro-activité à Santiago. J'ai été frappée par l'impact, sur leurs quartiers, de leur dynamisme et de leur générosité. » Ce constat motive, à 26 ans, un master d'urbanisme, pour le mettre à profit dans les quartiers populaires de l'hexagone. Pendant dix ans, elle œuvre à la rénovation urbaine d'Évry, puis de Grigny et de Viry-Châtillon, au sein d'un groupement d'intérêt public. La politique menée dans ces villes de l'Essonne, très touchées par la pauvreté, aboutit à l'amélioration de grands ensembles, à la construction d'une nouvelle école et à la rénovation d'un centre social. Aux élections municipales de 2008, une abstention de 50% lui fait quitter l'approche institutionnelle. « Cette dernière a peu de portée si elle n'associe pas les habitants. C'est d'autant plus dommage qu'ils regorgent de potentiel dans les quartiers populaires ».

Puisque le service public ne sait pas bien s'adapter à cette population, s'impose à elle une structure d'un genre nouveau, dans le fond, mais aussi dans la forme : recevoir des subsides de l'État, oui ; dépendre d'eux, non. De statut associatif, sa jeune pousse trouve sa place au sein de l'incubateur de l'Essec, une autre grande école de commerce parisienne, pionnière en entrepreneuriat social. Un prêt de 30 000 euros est accordé par France Active, dont la garantie bancaire permet par ailleurs d'emprunter 15 000 euros. Forte de son expérience et de sa connaissance du terrain, elle élit la ville de Courcouronnes comme premier site : le quartier du Canal répond aux critères et le maire, prescripteur incontournable, croit au concept de VoisinMalin. Reste à identifier des besoins et trouver des premiers commanditaires. Pour accompagner la réhabilitation d'une résidence, à laquelle ses habitants ne croyaient plus, un bailleur social s'engage à tester la démarche... Puis, alors que l'hôpital de la ville s'apprête à fermer, une étude sur les besoins de santé des habitants est jugée légitime. Premier salarié à plein temps, un manager est chargé de constituer une équipe. Animateurs éducatifs et sportifs, petits commerçants, enseignants, gardiens d'immeuble font fonctionner le téléphone arabe pour trouver des candidats Voisins... L'aventure est lancée !
 

Un impact qui fait ses preuves

7 managers de sites plus tard, opérationnels sur 9 villes aujourd'hui, près de 70 Voisins Malins âgés de 19 à 70 ans occupent le terrain. Avec une présence moyenne de 16 heures par mois, ils ont eu des entretiens personnalisés avec 23 000 familles, soit près de 60 000 habitants, qui leur ouvrent leurs portes 8 fois sur 10. « Déjà très impliquée auprès des habitants de ma résidence, j'ai connu VoisinMalin par l'association Mieux Vivre », reprend Hélène. « Nous rencontrons des personnes isolées, qui restent chez elles toute la journée... Être à l'écoute et en relation avec les autres personnes du quartier, pour aider et être utile, voilà ce qui me plaît ! » Formés, à raison de 20% de leur temps de travail, les VoisinsMalins prennent de l'assurance et consolident des compétences. « J'avais arrêté mon activité professionnelle : ma mission m'a permis de garder le contact avec l'extérieur et me donne une expérience professionnelle », témoigne sa co-équipière Jessica. À l'actif de ces habitants leaders, une efficacité sans égal.

Pour un projet de réhabilitation de grand ensemble, la participation aux réunions d'information est ainsi passée de 5 à 30 %. Informées sur le cancer du sein, 620 familles ont compris et ont fait leur l'importance du dépistage. D'autres ont réduit leur consommation d'eau de 10 à 30%, économisant jusqu'à 300 euros par an. Dans un quartier de 15 000 habitants, ce sont les punaises de lits qui ont été quasiment éradiquées, suite à l'information des locataires. Ailleurs, 200 familles ont été informées sur les opportunités d'emploi suite à l'ouverture d'un centre commercial près de chez elles. Autre exemple, de la première heure, le recours à la carte solidarité transport ne s'est plus limité à 30% des ayants droit ; en se familiarisant avec les démarches ou en apprenant à considérer cette opportunité sans honte, d'autres ont pris cette voie avec les encouragements du syndicat des transports d'Île-de-France (Stif) – plus perdant à réprimer la fraude. Ou encore, 6 000 personnes ont été accompagnées sur des lieux de services, y compris postaux et bancaires ; or, qui dit plus grande autonomie des usagers, dit moins d'attente, donc moins de tensions, autrement dit des relations pacifiées.
 

A développement soutenu, changement d'échelle

« Les VoisinsMalins réussissent là où nos équipes sont démunies pour faire passer des messages », applaudit Benoit Ringot, directeur de projets chez Véolia, parmi d'autres commanditaires convertis. « Au-delà, leur action promeut le lien social et la confiance entre voisins. Ce qui me frappe et me pousse à croire à ce projet, c'est le professionnalisme de l'association, depuis la formation et l'encadrement des Voisins jusqu'à la mesure de l'impact social de leurs missions. » C'est parce qu'il produit de la qualité en quantité qu'Anne Charpy, par ailleurs membre du conseil d'administration du mouvement d'entrepreneurs sociaux Mooves, a été cooptée dès 2013 au sein du réseau mondial Ashoka, mécénat de compétences à la clef. En croissance, ses partenaires opérationnels qui contribuent à 30% des ressources rallient Emmaüs Habitat comme l'agence régionale de Santé, AG2R-Reunica comme la Poste. Pour les 70% restant, les soutiens financiers s'équilibrent entre le public et le privé, émanant aussi bien de la Caisse des Dépôts et Consignations que de la fondation Crédit Coopératif.

Encore et toujours acquis à cette cause pionnière, le maire de Courcouronnes s'appuie sur son expérience pour faire de la prospective. « En relayant les demandes de partenariat de l'association, je l'aide dans son démarchage, si je puis dire : bailleurs sociaux, réseaux de chauffage urbain, syndicats de ramassage des déchets, réseaux de transport... Je pense que ses actions peuvent être déployées dans tout un réseau d'activités ou de corps de métier. » Et Stéphane Beaudet de conclure : « En plus du lien social, les Voisins Malins apportent une notion de valorisation : chaque habitant est porteur d'une compétence. Dans un pays où l'habitude est plutôt de stigmatiser les gens dans ce qu'ils ne savent pas faire, ça change fondamentalement les choses ! » Une onde de choc culturel qui devrait déferler dans les 6 grandes régions urbaines d'ici 2019, puisque les VoisinsMalins veulent prendre leurs quartiers dans 20 villes prioritaires du nouveau programme national de renouvellement urbain (NPNRU). Non content de porter la bonne parole, ils envisagent de faire école, littéralement. Autre devoir innovant, établir un baromètre des quartiers, histoire que les acteurs politiques et économiques se mettent – enfin - à taille humaine...
 

Plus d'infos :

Site web :  www.voisin-malin.fr

@ contact@voisin-malin.fr

✉ 204, rue de Crimée Paris – 75019



Belle histoire de primé racontée par Anne Laure Murier pour le compte de la Fondation MMA des Entrepreneurs du Futur

 
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